Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/816

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de causer quelquefois avec elle et de l’imiter dans ses petits ouvrages. Mais dans un cabinet, entre deux bureaux, où règnent l’application sévère, le silence absolu, il est tout simple que l’enfant s’ennuie ; surtout si, lui défendant jusqu’au chant ou à un petit babillage, par lequel il cherche à se dédommager de ne pouvoir adresser la parole à personne, on le contraint encore à faire telle ou telle chose qui demande quelque attention.

Voilà ce qui s’appelle les contrariétés d’état ; tous ceux qui ont fait des traités d’éducation n’ont jamais considéré l’homme de cabinet ou de telle autre profession, mais le père ou la mère sous les seuls rapports de ce titre et uniquement occupés à en suivre les devoirs ou, du moins, en leur soumettant tout le reste. Mais il faut particulariser les cas : tu as des travaux à suivre, et je suis trop heureuse de pouvoir t’aider en cela, car je suis épouse autant que mère et avant de l’être devenue. Cherchons donc, en demeurant à nos bureaux, à faire que l’enfant nous y voie sans peine et se trouve bien d’être auprès de nous. Pour cela, imposons des contraintes qu’il ressente avec d’autres, et laissons-le libre avec nous ; à titre de représailles, bien entendu. Si la nature ne l’a pas fait naître pour les belles connaissances, ne pressons pas l’instruction, formons le caractère de préférence à tout, et que le reste vienne par inspiration, non par contrainte. Caresses et privations, tenons-nous-en à ces moyens, et que, dans l’exercice de ces choses, l’enfant sente la justice ou la nécessité autant que l’effet de notre tendresse.

Voilà le troisième jour que je n’exige rien ; elle lit cinq ou six fois dans la journée, par ennui, et s’en prévaut comme d’une bonne action ; sans donner tout à fait dans la petite hypocrisie, je veux bien en être un peu la dupe ; on me presse toujours le soir pour la musique, et j’ai toujours aussi mille raisons pour rendre la leçon tardive, souvent courte, gaie et facile.

Notre grande affaire, c’est l’obéissance ; il y a eu des crises ; j’ai prononcé une privation, on a crié à tue-tête, je n’ai pas eu l’air de m’en embarrasser et j’ai continué ou fait semblant de coutinuer mon travail