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fort capable d’un mauvais coup. J’ai persisté à faire travailler les ouvriers (car lout ce tapage s’est fait le samedi et hier, durant l’absence du chanoine) ; on n’entreprend rien qui ne soit très juste et très permis, puisqu’on ne passe pas les bornes et qu’on n’a fait que défricher et réparer la partie que les eaux avait dégradée ; mais, afin d’avoir où mettre les pierres qui couvraient cette partie, on a creusé un fossé dont on tire la bonne terre qu’on rejette sur le champ qui sera planté, et ce fossé sera recomblé de ces pierres, qu’autrement il aurait fallu emporter je ne sais où ; ce sera le lieu où passeront les eaux, et la haie sera en deçà sur notre fonds. Cet original veut qu’on ne puisse pas, quoique ce soit chez nous, ôter la terre de son voisinage pour y substituer des pierres ; il crie comme un sorcier, dit pis que pendre des gens d’église et voudrait faire un procès au chanoine. Quand j’ai vu qu’il ne pouvait entendre à rien, je lui ai dit qu’il se pourvoirait et entreprendrait en justice tout ce que bon lui semblerait, mais que je ferais suivre les intentions de mon beau-frère et que les ouvrièrs ne quitteraient pas qu’ils n’eussent fini. Effectivement, ils vont leur train et cela s’avance.

Eudora s’est enrhumée à force de crier hier en plein air, pour un caprice ; elle a une âcreté de sang prodigieuse que le froid fait ressortir au long de ses cuisses et autour de ses petites affaires ; elle est, pour toute boisson, à l’eau de réglisse et au régime de bouillon de raves et de végétaux pour aliments. Je crois, en vérité, que l’hygiène doit faire une grande partie de son éducation. Elle a des jours où il me semble que je la donnerais pour rien ; elle a des moments qui me rendent toutes mes espérances.