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ton Académie. Si j’avais été à Villefranche, tu me les aurais envoyés à leur passage, ne fût-ce que pour le plaisir de parler de lui avec eux et de les faire jaser sur leur pays. Je ferai mes dépêches : tu comptes donc trouver à les expédier sûrement par Lyon ? Tu n’as pas encore vu Mme Escher, cependant ; mais j’attendrai ton avis du séjour ou de ton départ.

Je te dirai que le jeune homme travaille avec ardeur : langues, mathématiques et arts, tout est revenu sur le tapis ; il me prie de t’écrire qu’il suit tout avec zèle, avec goût, qu’il espère te contenter, et il désire que ma première lettre à ses parents soit une apologie. Il y a temps pour cela, et nous verrons si ces belles dispositions se soutiendront.

La pauvre voisine[1] a une fièvre putride ; elle va bien un jour et mal l’autre ; ce doit être encore long et douteux. Quant à mes autres malades, qui t’inquiètent, ils ne me tiennent pas d’aussi près que tu sembles craindre : ce sont les pauvres gens de Boitier[2] ; il faut bien qu’ils s’aperçoivent de ma résidence en ce pays, surtout dans cette mauvaise saison, après les fatigues des vendanges. Que de misères !

On s’étonne et s’attendrit quelquefois aux descriptions de la vie dure et sauvage de tant de peuples éloignés, sans réfléchir que nos paysans, pour la plupart, sont misérables cent fois plus que les Caraïbes, les Groënlandais ou les Hottentots. Aussi la mort semble-t-elle un soulagement et à celui qui expire et à ceux qui l’entourent. Je viens de le voir dans une femme de soixante ans, qu’on aurait pu tirer d’affaire si elle eût été prise à temps ; mais ces gens-là souffrent des mois entiers sans discontinuer leur travail, ils s’alitent sans rien dire, boivent du vin trempé pour tisane, que la maladie soit putride ou aiguë ; ne songent point au médecin ou craignent la dépense de le faire venir,

    dans sa lettre à Lanthenas du 3 mai 1790, maltraite fort M. de Juys, devenu alors un adversaire politique.


    (Une partie des renseignements contenus dans les trois notes ci-dessus nous ont été obligeamment fournis par M. J. Buche, procureur au lycée de Lyon)

  1. La Saint-Jean. — Voir lettre 283.
  2. Le Bottier ou le Boitier, hameau à 300 mètres du Clos.