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ferait oublier, et, pour la seule fois peut-être, je croirais avoir pu mieux faire que de le goûter.

Je t’enverrai du linge, mais ce ne peut être que jeudi ; cela m’a rappelé que j’avais eu bien tort de ne pas écrire sur ta note d’en mettre un peu dans ton portemanteau comme j’imaginais que tu l’aurais fait.

Auguste[1] est donc malade ? S’il en arrivait pis, je n’en plaindrais personne, ce ne sera jamais qu’un pauvre sujet. Je crois qu’Eudora prend des vers, car son altération revient ; puis elle a des rugosités à la peau, surtout à la cuisse ; et elle est rêche comme sa peau dans les parties attaquées. Sans en attendre des merveilles, je sens pourtant ce que c’est qu’un enfant, et je désire sa conservation comme si j’en espérais plus de bonheur. Nous allons le moins mal qu’il m est possible. Quand elle est de belle (sic), nous causons assez agréablement. Elle me fait des questions singulières, principalement sur la langue ; elle me demandait avant-hier la justification de cinq à six mots métaphysiques que j’ai été surprise de trouver dans sa tête. Mais elle n’entend toujours rien à ce qu’elle lit ; ce n’est encore qu’un travail mécanique et pénible dont elle s’ennuie prodigieusement. Elle est presque aussi avancée pour la musique et elle lit ses notes, sur la clef de sol, avec autant d’assurance qu’elle fait dans un livre ; cependant je ne la pousse pas beaucoup, et je crois y gagner, car, ne fût-ce que par désœuvrement et à cause du plaisir de faire du bruit, elle me demande presque toujours d’elle-même à dire sa leçon de musique.

Je voudrais bien avoir ici des crayons ; elle demande souvent à crayonner ; elle cherche à calquer une mauvaise image que j’ai trouvée, et je présume qu’elle aurait quelques dispositions. Envoie-moi des crayons rouges et un porte crayon, par la commissionnaire qui te

  1. On verra plus loin qu’Auguste était le fils de M. et Mme Chevandier. Nous nous demandons si cet enfant, dont Madame Roland augurait mal, ne serait pas Jean-auguste Chevandier, né à Lyon, le 23 juillet 1781, député en 1831, pair de France en 1837, propriétaire des verreries de Saint-Quirin (Meurthe), mort en 1865, et père de M. Chevandier de Valdrône, député et ministre du second Empire.