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Eudora dont il faut suivre les différents exercices. Aussi je vous donne signe de vie à l’instant où j’attends encore quelques paquets dont l’arrivée ne me laissera plus de loisir.

Je n’ai pas apporté votre dernière, mais je me rappelle fort bien qu’il y régnait un certain air de mécontentement, un ton contristé qui m’a étonnée, surtout en réponse à la lettre que je vous avais adressée. On dirait que vous avez si fort sur le cœur la rareté dont mes épîtres avaient été durant quelque temps, que vous continuez de m’en vouloir et que vous me savez presque mauvais gré d’avoir réveillé notre correspondance. Je pourrais observer pourtant que vous avez eu toujours fréquemment de nos nouvelles, par mon bon ami lorsque ce n’était par moi ; et qu’en vous exposant les motifs qui m’empêchait de vous entretenir longuement, en vous engageant à ne pas nous priver pour cela de vos causeries amicales, nous n’avons pu vaincre votre taciturnité. Ce n’est pas ainsi, mon ami, que les liaisons les plus solides se soutiennent ; dans une situation plus compliqué que la vôtre, vous vous verriez quelquefois empêché de correspondre aussi longuement, aussi fréquemment avec vos amis, et ce vous serait peut-être une épreuve pour juger des bons, car ceux qui compteraient rigoureusement avec vous, ceux qui se fâcheraient de vos lenteurs, lors même que vous leur eu apporteriez les raisons, vous paraîtraient ou fort exigeants ou bien peu attachés.

Dans ma maison d’Amiens, si simple, si bien réglée, où une demi-heure chaque jour me suffisait pour tout maintenir dans l’ordre et pour diriger deux domestiques ; à Amiens, où deux familles faisaient ma société et où je ne recevais chez moi que cinq ou six personnes à manger, j’avais encore bien du loisir quoique le cabinet m’occupât beaucoup. Mon existence s’est compliquée, mes sollicitudes de ménage ont quadruplé ; j’ai mille choses à voir, mille à combiner ou ménager ; cependant le travail du bureau n’est pas diminué, et il faut, au milieu de ce surcroît de soins, s’établir et s’assurer des relations nécessaires à plusieurs égards ; le tout avec des déplacements fréquents, des voyages, qui sont le seul moyen de tourner l’activité de mon mari sur une va-