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[À ROLAND, À AMIENS[1].]
Le jour de la pentecôte, [4 juin] 1786, — [du Clos].

Je soulageai hier mon cœur, en t’écrivant une lettre directe où j’exhale mes douleurs sur les contrariétés qu’a souffertes notre correspondance ; je te parle d’Eudora, de ma santé, de ce que j’ai fait ; il faut aujourd’hui que je te fasse partager ma gaîté que je ranime quelquefois par des jeux aussi enfantins que ceux de ma fille.

Ennuyée de suer à grosses gouttes et de perdre haleine à moitié chemin pour aller adorer sur la montagne, quand mon aumônier ne peut nous dire la messe à mi-côte, j’ai pris la résolution de monter généreusement l’ânesse du logis, la sôme je veux dire ; car on pourrait s’y méprendre, et Nicole en redresserait les oreilles.

J’ai employé la dernière partie du jour d’hier à préparer une couverture pour la bête ; un vieux tapis de table, ressemblant à un damas de Caux, entouré de serge verte bordée de franges jaunes ; des bandes rouges en guise de sangles, provenant d’un lit de ta trisaïeule, et, pour courroies, quelque autre frange en soies bariolées : tels furent les matériaux dont l’arrangement me fit travailler deux grandes heures avec l’activité que met une jeune fille à des préparatifs de bal. Au retour des champs, la gentille bourrique fut amenée à la porte du logis ; nous la revêtîmes du caparaçon que je venais d’achever, et je montai dessus en triomphe pour en essayer. À l’aide des doubles de sa housse et de ceux que je faisais former à mon large caleçon, je me tenais encore avec bonne contenance sur l’échine tranchante, tant quels bête demeurait en place ; mais, lorsqu’il fallut marcher, sans étrier d’aucune espèce, serrant les genoux à cœur joie pour ne pas culbuter, et pouvant anatomiser tous [sic] les vertèbres de l’arcadienne par

  1. Ms. 6239, fol. 174-176.