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Vous ai-je querellé ? Me suis-je plainte de rien ? J’ai fait une observation que vous avouez être fondée, et c’est pour cela que vous êtes disposé à crier contre moi ? Il n’est pas plus possible à l’homme moral de rester toujours le même, qu’à l’homme physique de ne pas changer. Voilà votre réponse et le résultat de votre examen : qui donc vous conteste le fait et le principe ? J’avais posé le premier comme mon propre aperçu ; vous le mettez en maxime, tout cela revient au même, et je n’entends plus rien à votre envie de faire des reproches et à votre idée de les croire mérités.

Ai-je donc un si grand tort devoir eu le tact fin et juste, et de vous avoir dit bonnement ce qu’il me faisait apercevoir ? Vous auriez voulu peut-être que je me fusse fâchée et dolentée : c’est tout au plus ce qui pourrait arriver dans certaine, espèce de liaison ; mais, dans une amitié comme la nôtre, que la teinte soit plus ou moins vive, le fond reste toujours le même. Nous avons réciproquement dans notre caractère et notre manière d’être les mêmes raisons de nous estimer ; nous avons dans nos goûts et nos idées les mêmes objets de rapprochement et les mêmes aliments à notre relation ; il est donc un degré de confiance et d’intérêt qui subsistera nécessairement sans altération.

Reste pour la variété le plus ou moins d’attrait, d’empressement et de douceur à cultiver cette amitié ; sur cela, le champ est vaste et libre. Vous étiez couleur de feu l’année dernière, vous êtes maintenant petit gris ; moi qui ne vais guère aux extrêmes, je garde une nuance assez uniforme, et je vois vos oscillations sans les trouver étranges.

La tranquille et sainte amitié a un point d’appui où tient toujours le balancier. Les passions, délicieuses et cruelles, nous emportent hors de nous-mêmes et nous laissent enfin ; mais l’honnêteté de l’âme et des procédés, la confiance d’un cœur droit et sensible, la modération d’un caractère sage et fixé par de bons principes, voilà ce qui assure

    graphes, mais en retint un certain nombre ; 3° ceux qu’il avait gardés passèrent, après sa mort, — nous ne saurions dire comment, — aux mains de M. Desnoyers, bibliothécaire du Muséum, et, après la mort de celui-ci, en 1886, furent vendus chez M. Étienne Charavay et acquis par M. Alfred Morrison.