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dans quelque temps ; je m’en réjouis beaucoup. Ma chère Eudora maigrit, dépérit, sans que je sache à quoi m’en prendre ; j’ai imaginé que l’eau n’était pas bonne, j’en envoie chercher à une fontaine hors de la ville[1]  ; on a cru qu’elle avait des vers ; je lui ai donné du semen-contra dans du miel, puis du citron et de l’huile ; elle a été menée terriblement, sans faire de vers que l’apparence d’un petit, dont je ne suis pas sûre ; la langue chargée, l’haleine fade et bilieuse, le teint pâle et morne, les yeux creux, les chairs mollasses ; vive et gaie encore, et fort douce, et fort caressante quand elle souffre, voilà ce qu’elle est, ce qui me tourmente et me déchire. Ces inquiétudes m’usent et me consument ; d’autres sollicitudes m’occupent et m’échauffent ; et au milieu de cela, tantôt j’ai un courage de lion, tantôt je suis attendrie à pleurer. Adieu, je vous souhaite force, santés paix et bonheur ; nous vous embrassons de tout cœur.


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[À BOSC, À PARIS[2].]
8 août 1785, — de Villefranche.

[Et moi, Monsieur, je commence ma journée par vous ; au reste, c’est par l’ordre de mon seigneur et maître, qui me donne votre lettre à mon réveil. Il est pourtant dix heures ; mais j’ai pris un bain à sept, je me suis recouchée après, et j’ai dormi dans ce calme profond et cette douce fraîcheur si nécessaires à la santé. J’avais été hier à un petit bal qui se donna par un de nos locataires, et j’y avais dansé deux contredanses ; notez que, depuis deux ans avant que je reçusse le grand sacrement, je n’avais plus dansé ; j’ai éprouvé que le goût de cet agréable exercice ne s’éteint pas si vite ; et, malgré mes trente-un ans, je ne me retirai à minuit que par sagesse et non par satiété. Je ne sais quel conte vous me faites de votre homme dans le grand genre ; le connaisse-je ou non ? Il me parait difficile de le recevoir à mes genoux à

    après. Il s’agit plutôt de ses arrangements avec eux, pour obtenir un partage anticipé qui lui permit d’aller s’établir ailleurs.

  1. Voir lettre du 18 mai 1785.
  2. Bosc, IV, 96 ; Dauban, II, 536 ; — ms. 6239, fol. 258-259.