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j’aie bien peu de temps à moi, que d’ailleurs vous deviez avoir maintenant une des nôtres qui vous instruit de notre marche et vous éclaire par conséquent sur la cause de notre silence, je ne puis résister à l’empressement de répondre aux expressions touchantes de votre amitié inquiète.

Il y a longtemps que je m’aperçois bien ne vous guère écrire, et que je désire trouver l’instant de le faire avec ce loisir si cher à la sensibilité ; affaires de ménage et aussi de cabinet ont tellement rempli mes journées, que mon petit voyage en a été retardé, malgré l’extrême activité avec laquelle je me hâtais de les terminer. Arrivés ici depuis quelques jours, le temps y coule comme vous savez qu’il fait en voyage lorsqu’on n’a qu’un temps borné et qu’on n’en veut absolument rien perdre.

Nous sommes établis dans un appartement que mon bon ami a loué pour lui, et où le petit ménage peut s’établir au besoin ; j’ai amené notre Eudora, la bonne et le domestique ; tout cela s’arrange à merveille. Nous sommes dans une belle maison[1] et un beau quartier, tout près de l’Intendance, fort loin de plusieors de nos connaissances ; mais la plus éloignée me prête son équipage, dont j’use à discrétion. J’ai été voir hier la Sainte-Huberti[2] dans son triomphe, jouant Didon, que je ne lui avais pas vu représenter à Paris ; je l’ai trouvée sublime. L’ami a plus d’une affaire : compliment à l’Académie comme titulaire[3] ; autre séance à la Société d’agriculture, à laquelle il tient aussi[4] ; soins

  1. La maison Collomb, place de la Charité, à côté de la place de Bellecour. L’Intendance, où Roland avait son bureau, était rue Saint-Joseph.
  2. La Saint-Huberti avait quitté Paris « Le 4 ou 5 juin, pour son congé annuel de deux mois » (E. de Goncourt, p. 148). Le 25 juin, elle chantait à Marseille. Son séjour à Lyon dut donc être fort court. Elle avait créé Didon à l’Opéra, le 1er décembre 1783.
  3. Roland avait lu préparatoirement, à l’Académie de Lyon, dans la séance ordinaire du 14 juin 1785, son discours de réception « Sur l’avantage des Lettres et des Arts relativement au bonheur pour ceux qui les cultivent, et de leur influence sur mœurs » (Registres de l’Académie de Lyon), discours qu’il lut ensuite dans la séance solennelle du 6 décembre 1785, et qu’il fit imprimer (43 pages in-8o) sous ce titre : « De l’influence des Lettres dans les provinces, comparée à leur influence dans les capitales. »
  4. La « Société royale d’agriculture de la généralité de Lyon » avait été fondée en 1761. Sa séance publique annuelle venait d’avoir lieu, le 17 juin (Péricaud, Tablettes chronologiques de Lyon). Elle était organisée comme un grand comice agricole de nos jours, avec un bureau général de vingt membres, siégeant à Lyon, et quatre bureaux particuliers, de dix membres chacun, dans les quatre autre villes d’élection de la généralité. Ce n’est que comme membre d’un de ces bureaux particuliers que Roland, pouvait, dès juin 1785, « tenir » à la So-