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[À BOSC, À PARIS[1].]
28 juin [1784, — d’Amiens].

Eh mais ! ne dirait-on pas que c’est vous qui partez à votre annonce de ne plus écrire jusqu’au retour ? Je vous en ferais bien démordre, si j’avais le temps ; malheureusement c’est aussi la dernière fois que je vous écris avant de m’en aller. Je fais toujours quelque chose, et toujours je m’en trouve encore à faire : les heures volent, celle du départ viendra frapper, et zeste !… adieu, bonsoir ! J’ai déjà reçu plusieurs fois des nouvelles d’Achate, que les vents contraires ont forcé de s’arrêter un peu à Boulogne, dont il n’a dû s’embarquer qu’hier. Je ne vous envoie pas les fameuses dissertations d’une fille de vingt ans sur l’Esprit[2] ; il faudrait que je les cherchasse parmi la poussière et des vieux papiers, je n’en ai pas le loisir ; mais, lorsque je quitterai le pays, je vous promets d’emballer quelques chiffons avec les paperasses, que vous verrez ensuite à mon passage à Paris si la fantaisie vous en tient encore ; c’est tout ce que je puis faire pour l’honneur de ma parole. Mais comme je vois que ce n’est pas une raillerie que de vous la donner, je ne vous promets rien pour le Journal[3] ; j’aime mieux que vous m’ayez obligation de ma complaisance, si j’ai la modestie de vous montrer mon gribouillage ; voilà qui est clair, je pense ! On m’appelle, je suis pressée ; je vous embrasse bien joliment sur les deux joues.

  1. Bosc, IV, 66 ; Dauban, II, 505.
  2. Divers écrits de sa jeunesse. On trouve aux Papiers Roland, ms. 6244, un grand nombre de ces cahiers intitulés par elle : « Œuvres de loisir et réflexions diverses ». (Voir notamment fol. 43-46, De l’Esprit ; fol. 273-285, Promenade d’Esprit ; cf. Mémoires, t. II, p. 179.)
  3. Le Journal de son voyage d’Angleterre, avec lequel elle rédigea plus à loisir la relation qu’a publiée Champagneux dans son édition de 1800 (t. II, p. 201-285).