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épître n’a pas le sens commun, si je te l’envoie avant de savoir une décision. J’attendrai donc, pour t’éviter de t’épuiser comme moi en suppositions, en conjectures qui tomberont peut-être à faux.

Le frère est balancé dans ses résolutions par des difficultés, des formes qui tiennent aux choses. L’ami d’Antic est terriblement et tristement préoccupé par ses affaires ; moi, je ne vis pas depuis quelques jours, ou c’est de la vie d’un flambeau qui brille et se consume. J’ai besoin de t’embrasser, de voir notre enfant. J’ai un courage de lion interrompu par des accès de faiblesse puérile ; tant que j’ai à agir, je me trouve forte ; ai-je un moment de repos, je n’en jouis pas ; je désire et je pleure. Je devrais ne pas t’écrire dans ces moments ; mais cette disposition vient de se renouveler en t’écrivant, et je ne vois guère à conduire ma plume. Mon cher ami, conserve-toi pour mon bonheur, pour ma vie. Quoi qu’il arrive d’ailleurs, nous serons heureux en nous retrouvant ; je le sens, et c’est le principe de mon impatience. Adieu, mon ami.


Samedi, à 10 heures.

M. Rousseau m’écrit que, par le Comité d’hier au soir, il a été décidé que tu irais à Lyon avec 4,000 livres d’appointements. Je viens d’écrire à M. de Vin ; je vais me débattre, s’il le faut, pour la gratification, car il serait horrible qu’il y eut diminution, et je compte fort sur le contraire. Ces 4,000 livres sont bien tout ce qu’il y a, et ce que j’ai vu sur l’état d’assigné à Brisson sur la caisse du commerce ; mais je sais qu’il avait de plus quelques misères prises sur je ne sais quoi[1] ; il n’est question que de faire sonner haut ta gratification comme attachée à ta personne. Quand le diable y serait, il faudra bien que nous y gagnions !

Le frère part pour Reims aujourd’hui[2] sur lettre expresse du doyen ;

  1. Voir la lettre suivante.
  2. Il ne fut pourtant reçu docteur ) Reims que le 13 septembre 1784, ainsi que nous l’avons déjà dit. Lanthenas, pressé d’en finir avec ses études de médecine, allait se présenter où les grades se donnaient le plus aisément. — Cf. Mém. secrets, 14 mai 1782 : « Il [l’abbé de Bourbon, fils naturel de Louis XV] est actuellement à Reims, pour s’y faire recevoir licencié en droit, ce qui est l’affaire de peu de jours dans cette université ». Cf. aussi Mém. de Brissot, t. I, p. 332 : « On y vendait tout, et les degrés, et les thèses, et les arguments ». — C’est aussi à