Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/517

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la lettre de M. de Calonne eût cette chaleur qui permit de la montrer au Roi pour entraîner son assentiment. M. F. [Faucon] va machiner dans les bureaux. J’irai à Versailles dimanche, et nous verrons : car il s’agit de faire demander d’une part et répondre de l’autre, sans le renvoi au petit chat[1], dont la patte nous égratignerait toujours. Croirais-tu que j’ai eu l’effronterie de m’appuyer auprès de lui de l’incertitude de la grâce, d’après la froideur de la lettre, pour désirer davantage le passage à Lyon ? Mais j’ai tourné cela en femme ; toi, tu l’aurais fait trop raide. C’est une plaisante chose, en vérité, qu’une solliciteuse ! Ne laissai-je pas croire à quelques-uns, qui s’informent de ma famille et s’étonnent de tant de soins pour une fille, que j’attends un héritier sous quelques mois ! Cela rend l’affaire plus touchante ; on me regarde marcher et je ris sous cape. Je ne vais pas cependant jusqu’à faire clairement le mensonge, mais, comme le meilleur disciple d’Escobar, je fais croire sans parler.

J’ai fait mon envoi au Garde des sceaux ; je suis tentée d’en faire autant à M. de Vg. [Vergennes], mais j’y rêverai ; car Mme d’Arbouville ne goûte pas cela, je ne sais pourquoi. J’ai tant écrit et couru depuis hier que j’en perds la mémoire et que, entraînée par le tourbillon, je ne saurais plus détailler un jour ce que j’ai fait la veille. J ai besoin de me reposer ; j’ai pourtant passé ma soirée au Luxembourg, après la pluie, avec le frère qui m’accompagne, me console et court aussi comme un perdu. D. Bl. [Dom Blanc] a remis à l’abbé de Saint-Fare[2], qui est allé au Raincy[3] et qui doit y parler. Il faut convenir que, si je m’en vais, adieu toutes les cordes particulières ; il ne reste que le ressort de Mme  d’Arb[ouville] et les Fau[con], et les autres m’oublieront.

  1. Blondel. — C’est l’expression dont se servent à chaque instant Roland et sa femme dans leur correspondance. « J’ai toujours plus craint le petit homme en-dessous, vrai chat, faux et traitre, que l’ours [Tolozan], quelque hérissé qu’il pût être », écrit Roland à sa femme, le 21 avril 1784 (ms. 6240, fol. 207).
  2. L’abbé de Saint-Fare fils naturel du duc d’Orléans. — Voir lettre du 25 avril 1784.
  3. Chez le duc d’Orléans.