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chez Panckoucke ; je suis à peu près à sec. J’ai fait acquisition ce matin d’une sorte de mousseline forte et de durée, propre à faire une robe que j’emporterai pour le voyage d’Angleterre plus volontiers que de la soie qui serait exposée à des inconvénients ; je la destinais aussi à Crespy, et voilà une partie du calcul renversée. J’ai acheté pour Eudora, qui a bien besoin qu’on remonte sa garde-robe : je trouve ici plus de choix et à meilleur compte ; mais ces choses plus importantes et plus nécessaires ne me laissent point de marge pour les chapeaux dont tu me parlais dans une de tes lettres ; je verrai s’il y a lieu d’en rapporter un de meilleur marché. J’ai été triste hier, par moments ; je me suis aujourd’hui presque continuellement, tourmentée de n’avoir point de tes nouvelles depuis deux jours. Peut-être m’as-tu écrit par les bureaux. Mon bon ami, te voir, vivre avec toi, nous aimer toujours, élever notre Eudora, que de jouissances et de bonheur, indépendamment de ce que l’opinion rend recommandable ! Qui nous empêche de couler doucement le temps que nous voulons encore rester à Amiens, modérant le travail, soignant nos santés, recueillant tous les biens que nous pouvons trouver dans notre vie paisible ? J’ai plus de dégoût que jamais de toutes les choses étrangères à celle-là, et je suis avide de goûter tout ce que [je] sais renfermé dans notre maison, concentré autour de toi. Tu laisseras radoter les gens de là-haut ; tu feras le bonhomme ; nous cultiverons nos goûts et nous irons doucement à la fin de ton entreprise. Prenant garde de ne pas éloigner le but pour vouloir y aller trop vite, nous prendrons du repos à présent afin d’assurer mieux le futur. Adieu, je ne saurais t’exprimer mon impatience. Si l’ami d’Antic ne m’eût présenté une espèce de raison d’utilité pour cet Ermenonville que tu as vu et que tu sembles désirer que je voie, je crois que j’aurais cherché à partir vendredi ; ce serait pourtant assez difficile : mais les pieds me brûlent, l’impatience croit et bientôt je ne pourrai plus rien souffrir de ce qui me retient.

Adieu encore, cher et tendre ami, je t’embrasse de tout mon cœur. Notre cher enfant, il te caresse à cette heure ; pauvre petit être ! Comme je regarde avec intérêt tous ceux de son âge qui se présentent