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plaisir ; le frère nous accompagnait, nous avons été dans les serres. Nous avons vu enlever et tomber un beau ballon de la pension de Verdier[1]. Ce matin, dans mes courses, je suis entrée aux Français[2] ; j’ai visité leur salle, que j’ai trouvée charmante. Enfin, mon bon ami, nous sommes faits pour être heureux, en dépit de tous les diables, ou jamais humains ne doivent l’être. Aie soin de ta santé et, pour ma part, je me moque du reste. Je t’embrasse sur les deux yeux ; je te conjure d’être plus tranquille ; joue donc avec notre pouponne en te rappelant sa mère, et puis seras-tu triste encore ? Ce ne serait pas sage, au moins. Écris-moi vite d’une autre encre, ou je pars pour ne plus perdre ainsi de ma vie coulée loin de toi ; en vérité, il n’y a que cela qui me peine véritablement. Mais écris-moi d’après mon cœur ; je veux dire que je ne souhaite pas de changement seulement dans les signes, mais dans tes dispositions. Je ne puis finir, il faut pourtant souper ; il se fait tard ; l’abbé Gloutier vient de m’arrêter ; il a fait une apparition à Paris et vient de me donner une heure. Je t’embrasse sans pouvoir m’arracher de tes bras où je brûle de voler. Adieu.


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À ROLAND, À AMIENS[3].]
Dimanche matin, Pâques, [11 avril 1784, — de Paris].

Je dois aller avec le frère dîner chez M. d’Huez, ou plutôt chez Madame. J’irai voir auparavant Mlle de la Blz. [Belouze] et j ai envie de gagner le Marais par les Tuileries pour m’informer d’un logement

  1. La pension de Jean Verdier, « maître ès arts, instituteur de la jeunesse, médecin du feu roi de Pologne. » était à l’hôtel de Magny, rue Saint-Victor, à côté du Jardin des Plantes (Tuetey, III, 585, 1024 et suiv.) Elle fut supprimée en 1789, par suite de l’annexion de l’hôtel au Jardin.
  2. La salle construite par Peyre, Lainé et de Wailly pour les comédiens du Roi, sur les terrains de l’hôtel de Condé, et où ils s’installèrent le 9 avril 1782. C’est là qu’est aujourd’hui l’Odéon, deux fois incendié et deux fois reconstruit.
  3. Ms. 6239, fol. 36-37.