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commence et me dit, en écrivant : « Je lui dis de venir me prendre mardi à Chantilly ». — « À Chantilly ? N’avez-vous pas de voie plus directe et plus prompte ? C’est obliger à moitié un mari qui vous demande depuis plusieurs jours[1]. »


1er septembre.

J’ai fait venir M. d’Hervillez ce matin, parce que j’avais des amertumes de bouche, un dégoût qui annonçaient de l’humeur dans l’estomac, et surtout des pesanteurs de tête qui m’inquiétaient. J’ai en la folie de craindre un dépôt, parce que c’est la maladie régnante, et j’avais envie de t’écrire de m’acheter de la poudre capitale. Le médecin s’est moqué de moi, il n’a trouvé dans tout cela, que des suites de l’embarras de l’estomac, assez ordinaire après un long usage du lait ; il m’a conseillé de me rafraîchir durant quelques jours, de me purger ensuite avec un gros de rhubarbe et de laisser le lait. Ce qu’il y a de vrai, c’est que je suis très capable d’application, ce qui n’annonce pas une très mauvaise tête, que j’ai le travail facile et que je ne sens un peu de mal que dans les moments où je ne fais rien, c’est-à-dire à ta promenade et au lit. Mais je vis d’activité plus que de nourriture ; je consomme moins que jamais ; un pain de demi-livre dont ma fille prend une petite partie, un peu de légume ou une moitié de pigeon font ma pitance de chaque jour. Sitôt que j’ai mangé, j’éprouve durant quelques minutes une sorte d’ivresse qui m’empêcherait de marcher droit et qui n’est pas sans agrément. Le sommeil répare tout, quoiqu’il soit accompagné de sueurs ; je dors énormément, et c’est là ce qui me régénère.

Tout cela n’est pas effrayant ; aie bien soin de toi, car ta santé fera toujours beaucoup à la mienne. Je viens d’arrêter une jeune fille pour cuisinière ; elle appartient à d’honnêtes gens et n’a point encore les vices de son état ; j’espère qu’elle ne les prendra pas chez moi, mais je crains qu’elle n’ait pas grand talent. Une tante habile fait espérer un supplément au besoin ; ainsi soit-il ; j’en essayerai.

  1. Ces mots terminent les verso du folio 257, et ce qui suit commence le recto du folio 258. Il semble que Madame Roland, s’interrompant en cet endroit, n’ai pas repris son propos.