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ce qu’il vous convient de prétendre. Je crois, je ne dirai pas mieux qu’aucune femme, mais autant qu’aucun homme, à la supériorité de votre sexe à tous égards. Vous avez la force d’abord, et tout ce qui y tient ou qui en résulte : le courage, la persévérance, les grandes vues et les grands talents ; c’est à vous de faire les lois en politique comme les découvertes dans les sciences ; gouvernez le monde, changez la surface du globe, soyez fiers, terribles, habiles et savants ; vous êtes tout cela sans nous, et par tout cela vous devez nous dominer. Mais, sans nous, vous ne seriez ni vertueux, ni aimants, ni aimables, ni heureux ; gardez donc la gloire et l’autorité dans tous les genres : nous n’avons, nous ne voulons d’empire que par les mœurs, et de trône que dans vos cœurs. Je ne réclamerai jamais rien au delà ; il me fâche souvent de voir des femmes vous disputer quelques privilèges qui leur siéent si mal ; il n’est pas jusqu’au titre d’auteur, sous quelque petit rapport que ce soit, qui ne me semble ridicule en elles. Tel vrai qu’on puisse dire de leur facilité à quelques égards, ce n’est jamais pour le public qu’elles doivent avoir des connaissances ou des talents.

Faire le bonheur d’un seul, et le lien de beaucoup par tous les charmes de l’amitié, de la décence, je n’imagine pas un sort plus beau que celui-là. Plus de regrets, plus de guerre, vivons en paix. Souvenez-vous seulement que, pour garder votre fierté avec les femmes, il faut éviter de l’afficher à leurs yeux. La petite guerre que je vous ai faite pour nous amuser dans la liberté de confiance vous serait faite d’une autre manière par l’adroite coquetterie, et vous n’en sortiriez pas si dégagé. Protéger toujours, pour n’être soumis qu’à volonté, voilà votre secret à vous autres. Mais que je suis bonne de vous dire cela, et le reste, que vous savez mieux que moi ! Vous avec voulu me faire jaser ; et bien ! nous sommes quittes ; adieu.


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À ROLAND [À PARIS[1].]
Mardi, [19 août 1783, — d-Amiens].

Eh bien, cher ami, le temps est beau, l’air assez doux : te portes-tu

  1. Ms. 6238, fol. 245-246. — Dans un coin de la lettre, on lit : « M. de Laplatière ». C’est une indication pour Bosc, l’intermédiaire habituel. Une note, d’écriture ancienne, porte : « Probablement 20 août 82 ». Mais c’est inadmissible, car l’enfant, à cette