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c’est qu’elle fait proprement de bonne soupe ; nous verrons le reste avec le temps, car je ne me flatte plus sur cette engeance. Je conserve encore ma garde quelques jours, peut-être prendrai-je une autre médecine ; d’ailleurs la nouvelle venue prendra le train de la maison dans cet intervalle.

Je t’envoie une lettre arrivée aujourd’hui de l’intendance. J’ai reçut ce matin un billet des frères Laurent et Joiront[1], qui me demandaient ton adresse à Paris pour t’envoyer quelque chose. J’ai répondu que, t’écrivant tous les jours, je me chargerais volontiers de te faire passer ce qu’ils désiraient te communiquer ; que cependant, s’ils préféraient te l’adresser directement, ils voudraient bien s’y prendre ainsi ; et je leur ai donné le couvert de M. Tolozan, avec la sous-envelopppe à ton nom, à Paris, sans autre explication. Il m’a semblé fort inutile de les laisser te faire coûter des ports pour ces sottises de règlements ou autres. Je n’ai rien revu. L’un d’eux était venu ces jours passés pour te parler et avait appris ton absence. J’ai pensé depuis que, ne leur ayant pas exprimé de ne faire qu’attacher la première enveloppe sans cachet, et de mettre dessus par précaution affaires de manufactures, ils fabriqueraient peut-être leur paquet assez mal pour qu’il soit défait et mis au rebut, ou taxé à la poste, c’est un malheur ; on ne n’avise jamais de tout.

J’ai payé Ancelin le jour de Noël ; il a été fort content du louis que je lui ai donné ; je ne l’ai pas vu depuis, et probablement je ne le reverrai guère ; il me parait que c’est sa marche, assez peu honnête cependant. Je congédierai mon médecin plus tard ; j’ai peur d’avoir encore besoin de lui. Sa petite femme compte vingt jours de souffrance au delà de son terme, et ne peut point accoucher ; c’est bien la peine d’être la femme d’un docteur pour se tirer d’affaire aussi mal !

  1. Les frères Laurent et Joiron, manufacturiers d’Amiens ; le Dict. des manufactures mentionne (t. I, p. 360, 371) les maisons Laurent frères et Joiron-Maret ; à l’Inventaire des Archives de la Somme, t. II, Introd. et passim, nous rencontrons les Laurent frères, les Joiron, etc. Déjà, alors comme aujourd’hui, toutes ces familles de fabricants et de commerçants s’alliaient et entrecroisaient leurs noms.