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[À ROLAND, À PARIS[1].]
30 novembre 1781. — [d’Amiens.]

Je t’ai écrit hier, mon bon ami, dans un moment d’agitation et de douleur ; je me hâte de recommencer aujourd’hui pour calmer les inquiétudes que je t’ai données.

Je suis mieux ; j’ai trouvé une femme qui me tète deux ou trois fois le jour pour empêcher que le lait ne se perde. Je nourris ma petite au lait coupé d’eau d’orge ; je souffrirais de lui voir prendre le sein d’une autre ; j’espère lui rendre bientôt le mien. Il n’y aurait que la persuasion d’une nécessité pour son bien-être qui me ferait résoudre à lui prêter pour quelques jours une mère étrangère. Sois donc plus ; tranquille, mon ami ; donne-moi de tes nouvelles ; tu auras souvent des miennes, et tout ira bien.

Je n’ai encore vu personne pour le billet ; on a apporté les ordonnances pour tes appointements.

Nos amis sont très empressés ; MM. d’Eu et de Vin sont sans cesse autour de moi ; ils voulaient, comme veulent les amis du monde toujours empressés de faire preuve de zèle à tout propos, que je visse M. Legrand[2] ; ils me l’ont amené, j’ai causé avec lui ; mais, comme je n’ai guère de confiance en personne d’ici, autant m’en tenir à Ancelin pour ce bibus.

Je fais un suçon en toile qu’on imbibe continuellement en versant dessus goutte à goutte, et l’enfant prend ainsi ; la première nuit de ce

  1. Ms. 6238, fol. 158.
  2. « Ch.-Fr.-M. Legrand, docteur de Montpellier, et professeur des accouchements, près l’Évêché » (Alm. de Picardie, 1781, p. 49). Voir sur lui Inventaire des Archives de la Somme, pasimm. — On voit que ce n’était pas lui qui avait accouché Madame Roland. Elle s’en était tenu à Anselin, chirurgien, dont les prix étaient sans doute moins élevés (un louis, voir lettre du 28 décembre 1781). Mais, dans la maladie qui va suivre, ce n’est pas Legrand, c’est d’Hervillez que nous allons trouver auprès d’elle, sans qu’elle paraisse avoir eu plus de foi dans sa science.