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§ 5.

Le 8 novembre 1793, quand Sophie Grandchamp, après avoir vu passer la charrette qui menait Madame Roland à l’échafaud, rentra éperdue chez elle, elle y vit arriver Mentelle, et ils pleurèrent ensemble[1].

Jusqu’à la fin de la Terreur, Mentelle conserva dans son appartement du Louvre, au-dessus de la salle où siégeait « l’exécrable Commission populaire », à l’insu de sa femme (il la savait bavarde), les manuscrits de Madame Roland et ceux de Brissot. Les mauvais jours passés, il remit à Bosc tout ce qu’il avait reçu de la prisonnière[2], cahiers et portraits (moins celui de Buzot). Quant aux papiers de Brissot, c’est à la famille qu’il les remit plus tard, puisque c’est Anacharsis Brissot qui les fit publier par M. de Montrol en 1830.

Puis, Mentelle reprit sa vie ordinaire, laborieuse et honorée. En mai 1795, nous le trouvons secrétaire du Comité d’instruction publique de la Convention (Catal. de la vente d’Ét. Charavay, 1900, n° 259) ; il fut, vers la même époque, de la Commission des monuments. La Convention l’inscrivit sur la liste des savants auxquels elle accorda des secours pécuniaires. Il professa la géographie, conjointement avec Buache, à l’École normale de 1795. Il fut de l’Institut dès l’origine (classe des Sciences morales et politiques, section de géographie).

Au mois de mars 1800, Champagneux qui, retiré dans ses terres, venait de terminer son édition des Œuvres de Madame Roland, confiée à l’éditeur Bidault, envoya à Paris son fils Pierre-Léon pour surveiller la mise en vente et la publicité. Mentelle, informé de cette circonstance et croyant que c’était Champagneux lui-même qui s’était rendu à Paris, laissa pour lui, chez Bidault, la lettre suivante que le libraire, dès le lendemain, fit passer au jeune homme :


Paris, ce 4 ger. an 8 [25 mars 1800].
Citoyen,

Permettez-moi de vous exposer ici mes titres à l’avantage de recevoir un exempl. de la nouvelle Édit. des Mémoires de notre ami, l’infortunée Rolland. Fier de son amitié et sensible à tous les témoignages qu’elle m’en avait donnés, je me présentai deux fois à Fouquet de Tinville pour en obtenir la permission de visiter cette dame dans la prison. Sans éprouver de refus direct de sa part,

  1. « Souvenirs de Sophie Granchamps », Révolution française de juillet-août 1899. Cette circonstance est, pour l’identité de Mentelle et de Jany, une preuve qui corrobore celles que nous avions rassemblées en 1896. Ajoutons encore celle-ci : Madame Roland écrit à Jany (lettre 551) : « S’il [Buzot] parvenait jamais dans le monde heureux, où votre fils est cultivateur… ». Or, la Notice de Mme  de Salm et le discours de Barbié du Bocage nous apprennent que Mentelle avait en effet un fils colon en Amérique, et il ressort de la lettre de Mme  Brissot citée plus haut que c’est en 1790 que le jeune homme s’était expatrié. Enfin Mme  de Salm met au premier rang des amis de Mentelle « Brissot de Warville, le ministre Roland et sa célèbre femme ». Elle ajoute : « Sa sensibilité, que l’âge semblait augmenter, lui fit aussi recueillir chez lui quelques proscrits ».
  2. Un des premiers articles du compte de tutelle d’Eudora Roland, commencé par Bosc le 15 nivôse an iii-4 janvier 1795 (ms. 9533, fol. 135-138), porte : « Reçu par les mains de Mentelle, 300tt ».