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ception par une lettre du 15 juin, que nous ne connaissons que par la réponse de Brissot dont nous allons parler. Cette lettre de Roland devait être bien naïve ; pour témoigner sa reconnaissance au publiciste, en pardonnant décidément cet adjectif rèche qui l’avait chagriné, il ne trouvait rien de mieux à lui offrir que… de le faire admettre à l’Académie de Villefranche !

Il est vrai que cette Académie était dans un des apanages du duc d’Orléans et avait ce prince pour protecteur, et que Brissot était précisément alors « lieutenant général de sa chancellerie » (Mémoires de Brissot, II, 432), logé au Palais-Royal même, auprès de son ami le marquis Du Crest, chancelier du prince. Cette circonstance atténue un peu la candeur de la proposition. Brissot, dans sa réponse, qui est du 27 juin#1, décline l’offre provinciale avec une parfaite bonne grâce… « J’ai jusqu’ici refusé d’être d’aucune Académie en France. Elles ne s’occupent pas d’objets assez utiles, elles ne s’en occupent pas librement… Je ne puis donc accepter l’offre infiniment gracieuse que me fait M. Dessertines au nom de sa compagnie… Si je suis académicien, ce ne sera jamais qu’à Boston, Philadelphie ou à Londres, parce que là on n’enchaînera point mes idées et que je pourrais être moi… Cela ne m’empêchera pas d’être utile à l’Académie de Villefranche autant qu’il dépendra de moi… » Ce qui suit est d’un intérêt plus général : « Je dois ici vous parler franchement. M. le marquis Du Crest n’aime pas les Sociétés purement littéraires. Il croit, et avec raison, qu’elles sont au moins inutiles ; mais les Sociétés qui s’occupent du bien public, soit en soulageant, soit en éclairant sur les Arts utiles, voilà celles qu’il aime à encourager. Il se propose véritablement d’établir une Société philanthropique à Villefranche. Mais il veut auparavant finir celles de Montargis et de Chartres. Voici, d’après ce que je vous confie, ce qu’il convient de faire à Villefranche, et qui pourrait entrer dans les vues du prince. »

Ainsi, c’est à l’instigation de Brissot, et par l’intermédiaire de Roland, que fut fondée à Villefranche cette Maison philanthropique qui s’ouvrit le 1er janvier 1788 avec Chasset pour secrétaire, et dont nous avons parlé déjà à l’Appendice M. Si on se rappelle que celle de Lyon, fondée un peu plus tard, en octobre 1789, eut pour secrétaire un autre Chartrain, Blot, l’ami d’enfance de Brissot ; si surtout on se reporte à une lettre du 13 mars 1787#2, où « Petion de Villeneuve », avocat à Chartres, écrivant à son ami « Monsieur Brissot de Warville, secrétaire général de la chancellerie de S.A.S. Mgr  le duc d’Orléans », lui rend compte des mesures prises pour fonder une Maison philanthropique dans cette ville, on comprendra mieux l’intérêt de la page des Mémoires de Brissot (II, 432) sur la tentative faite par Du Crest et par lui pour organiser ces Maisons dans les apanages du prince. Roland, d’ailleurs, ne fut pas en reste de compliments avec Brissot. Dans une note de son Dictionnaire, écrite entre août et décembre 1788#3, il adressa de chaleureux remerciements « à M. de Warville » : « Je ne connaissais cet écrivain courageux et sensible que par ses ouvrages, tous dictés par l’amour de la vérité, le zèle du bien public, tous remplis de ces principes de justice et d’humanité sur lesquels doit être établi le bonheur des sociétés. Je[1][2][3]

  1. Ms. 9534, fol. 331.
  2. Publié en 1835 par la Revue rétrospective, t. I, 2e série, p. 317.
  3. T. II, 2e partie, p.70.