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La saisie des papiers de Lauze de Perret, décrétée le 12 juillet, acheva de compromettre Champagneux. On y trouva en effet une lettre où Barbaroux, écrivant d’Évreux, le 13 juin, à de Perret, le chargeait de transmettre à Madame Roland des nouvelles des députés fugitifs et ajoutait : « pour cela, tu pourrais voir… Champagneux, l’un des chefs de bureaux du ministère de l’intérieur… »[1].

L’orage était donc sur sa tête. Il éclata le 1er août. Ce jour-là, Collot-d’Herbois, l’ennemi personnel de Roland et même de Garat, — il avait été candidat au ministère de l’intérieur en mars 1792, — et peut-être encore à la fin de janvier 1793[2] — vint faire, sous un vain prétexte, une scène furieuse à Champagneux dans son bureau, et le quitta en annonçant qu’il allait au Comité de sûreté générale demander son arrestation. Champagneux de s’évader aussitôt, tandis que Collot-d’Herbois allait trouver, non pas le Comité de sûreté générale, mais le ministre et se plaindre à lui de son commis. Garat chercha à couvrir Champagneux, rappela combien il lui était nécessaire : « on ne pouvait le remplacer, parce qu’il écrit sept cents lettres par mois ». Collot lui répondit alors qu’il dénoncerait à la Convention et Champagneux et lui.

Il tint parole et, le lendemain, en août, il obtint de la Convention un décret ordonnant l’arrestation du ministre et de son commis, et leur comparution séparément à la barre[3]. Garat comparut seul, s’excusa comme il put, et, grâce à l’intervention de Danton, obtint que ce décret fût rapporté en ce qui le concernait. Quant à Champagneux, qui avait, dès la veille au soir, envoyé sa démission au ministre[4], il se décida, au bout de deux jours, à sortir de son asile et, le 4 août, se présenta pour être admis à la barre de l’Assemblée, espérant sans doute être absous comme son chef. Mais la Convention « le renvoya au Comité de sûreté générale et décida qu’il serait en arrestation jusqu’après le rapport du dit Comité[5] ».

Il faut lire, dans le propre récit de Champagneux (Disc. prélim., p. lix-lxi, et t. II, p. 390-393) les circonstances curieuses de son arrestation : c’est lui-même qui, aussitôt le décret rendu, alla le porter au Comité de sûreté générale, en força la porte, s’expliqua avec Bazire, Alquier et Amar qui s’y trouvaient, mais sans rien obtenir que cette réponse, d’ailleurs assez naturelle, « que le Comité ne pouvait pas voir sans inquiétude l’ami de Roland dans les bureaux du ministère de l’Intérieur ». Après quoi, deux gendarmes, qu’Anacharsis Closts, au dire de Champagneux, serait allé chercher, conduisirent à La Force l’ami de Roland, et le Comité chargea Ingrand de faire le rapport demandé par la Convention, rapport qui ne fut jamais fait, heureusement pour le prisonnier.

  1. Lettre publiée par Champagneux, III, 415, et par Mortimer-Ternaux, VIII, 466.
  2. Nouvelles politiques, nationales et étrangères, 27 janvier 1793.
  3. Moniteur du 4 août 1793 et autres journaux du temps, dont les récits sont identiques.
  4. Garat, croyant encore conjurer l’orage, ne l’avait pas acceptée, et avait répondu : « Je vous en conjure, citoyen, revenez prendre un poste dont je vous ai toujours vu si digne. Nous mettrons notre conduite sous les yeux de la Convention nationale, et les représentants du peuple seront justes ». Cf., sur le besoin que Garat avait de Champagneux, les Mémoires de Madame Roland, I, 42, 224 et passim.
  5. Procès-verbal de la Convention, 4 août 1793. L’écrou est ainsi libellé : « pour être détenu par voie de police de sûreté générale jusqu’à ce que son affaire soit éclaircie ». (Papiers Roland, ms. 6241, fol. 161).