Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1545

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qui a beaucoup écrit sur l’histoire de Lyon pendant la Révolution, a publié, sur le séjour des Roland à Villefranche et à Lyon, quelques pages fort malveillantes[1]. Sans discuter une à une ses assertions (qui contiennent souvent, connue toutes les satires, une part de vérité), nous en retiendrons une seule, à savoir, que les rapports seraient devenus bientôt fort difficiles entre les Roland et la société bourgeoise de Villefranche : « On leur attribuait une satire venue de Paris, sur un grand nombre de personnes les plus distinguées de la ville, qui s’étaient trouvées dans un bal auquel on avait invité Monsieur et Madame Roland. Toutes ces personnes étaient désignées malignement dans ce pamphlet par des signes de musique ou des noms d’instruments, et si bien qu’on ne pouvait les y méconnaître. Telle dame était la blanche, telle autre la noire ; celle-ci la croche, celle-là le soupir, etc. Tel homme était la flûte traversière, tel autre la clarinette ; celui-ci le hautbois, celui-là le cor de chasse, etc. Les beaux esprits de Villefranche s’en vengèrent, en faisant arriver, chaque jour, soit de Paris, soit de Lyon, des épigrammes, des chansons satiriques à l’adresse de Monsieur et Madame Roland. Toutes les portes leur étaient fermées ; on les voyait de si mauvais œil, qu’ils ne pouvaient plus rester à Villefranche ; le chanoine leur donna la jouissance d’une maison de campagne qu’il avait à quelques lieues de la ville… »

Nous ne croyons guère à la satire anonyme. Ni Roland, ni sa femme n’étaient gens à prendre des détours pour maltraiter qui leur déplaisait. Mais ce que nous avons dit plus haut montre assez que, presque dès le début, la Parisienne avait pris en dédain son milieu provincial, et on peut bien admettre qu’elle le laissa voir. Quant à la rupture ouverte, elle eut lieu assurément, mais pour une autre cause plus profonde, en 1789, au moment de la Révolution. Tout ce monde d’officiers royaux, qui vivait de l’ancien régime et qui ne voulait pas disparaître, ne pouvait qu’être ardemment hostile à quiconque se vouait aux idées nouvelles. Les lettres des 7 août et 1er septembre 1789 à Brissot (324, 328) et du 25 août 1789 à Bosc (326) font voir où les choses en étaient venues. La discorde pénétra jusque dans la famille de Roland, au point qu’en novembre 1790 (lettre 391), le chanoine Dominique et sa belle-sœur, logés sous le même toit, ne communiquaient plus ensemble. Mais la lettre du 8 septembre 1791 noua montre les deux frères réconciliés.

  1. Mémoires pour servir à l’histoire de la ville de Lyon pendant la Révolution, Paris, Beaudouin frères, 1824, 2 vol. in-8o, t. I, p. 55-60.

    C’est là qu’il reproche à Roland d’avoir proposé à l’Académie de Lyon d’utiliser les corps des morts pour faire « de l’huile, avec le procédé usité à Paris pour les débris des animaux ! » Nous avons dit, dans l’Appendice H, ce qu’il faut penser de cette fable, qui serait odieuse si elle n’était inepte.