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du 9 avril au 8 juin 1795. Il s’en vendit 12,000 exemplaires. D’après le compte de tutelle rendu à Eudora Roland (ms. 9533, fol. 135-138), le produit aurait été de 98,570 francs, mais en assignats ! Aussi les papiers de la collection Beljame nous montrent-ils le tuteur et la pupille manquant presque de pain à l’automne de 1795. Bosc était sans emploi, malgré le triomphe de ses anciens amis et bon vouloir de La Revellière-Lépeaux, devenu membre du Directoire. Il avait refusé de redevenir administrateur des Postes, parce qu’il aurait eu pour collègue un de ceux qui l’avaient fait destituer deux ans auparavant.

En même temps, son âme était étrangement troublée : il venait de découvrir qu’il aimait sa pupille et il songeait à l’épouser ! Il avait près de 37 ans et elle venait d’en avoir 14 ! Était-ce la mère qu’il continuait à aimer dans la fille ? Sans nous arrêter à ce problème de psychologie, constatons qu’il fit aussitôt son devoir d’honnête homme. Eudora Roland ne pouvait plus demeurer auprès de lui ; Mlle  Aimée Malortie, mandée par lui, arriva de Rouen à la fin de novembre 1795 et emmena la jeune fille dans cette maison qui avait déjà servi d’asile à son père proscrit. Bosc prenait ainsi le temps d’aviser.

Au début de 1796, il se croyait payé de retour (lettre à Brousonnet, du 29 mars, citée par M. A. Rey, p. 96 et 47). Mais deux mois après il était détrompé et demandait à La Revellière-Lépeaux de le faire nommer consul aux États-Unis, pour s’éloigner de la cause de ses tourments. On lui promit le premier consulat qui viendrait à y vaquer, et il se mit en route, laissant sa pupille à la garde de Creuzé-Latouche et de Champagneux. Son passeport (ms. 6242, fol. 311) est du 3 juillet. Il emmenait avec lui son fils Louis. Ils firent à pied le trajet de Paris à Bordeaux, « faute de moyens de voyager autrement », dit Cuvier. Arrivé à Bordeaux vers le 18 juillet, Bosc mit à la voile exactement un mois après, et débarqua à Charleston le 14 octobre. Son ami, le naturaliste André Michaux, qu’il croyait y trouver, venait d’en partir. Bosc s’installa dans son jardin botanique, fit de nombreuses recherches d’histoire naturelle, correspondit avec ses amis de France (nous avons vu des lettres de lui à Brongniart, à Bancal, à Mme  Louvet), et s’apaisa peu à peu. Le mariage d’Eudora Roland avec un des fils de Champagneux, le 13 décembre 1796, mettait d’ailleurs fin à son rêve.

Nommé vice-consul à Wilmington le 6 juillet 1797, puis consul à New-York le 30 juin 1798, mais ne pouvant obtenir l’exequatur à cause des graves difficultés alors pendantes entre les États-Unis et la France, il se décida à revenir. Le 25 septembre, il débarquait à la Corogne, le 18 novembre il arrivait à Bordeaux et le 30 à Paris. Le naturaliste avait fait avec la lenteur d’un curieux le trajet de la Corogne à Bordeaux, mais entre Bordeaux et Paris, il ne s’était arrêté que pour aller voir Mme  Guadet à Saint-Émilion, pieux pèlerinage à la recherche des traces de ses infortunés amis, Guadet, Barbaroux. Pétion et Buzot.

C’est là, en effet, un des traits les plus marquants de sa vie, la fidélité, la fidélité aux morts, à leurs veuves et à leurs enfants. Dès le 13 février 1795, nous le trouvons en correspondance avec Mme  Guadet ; à Bordeaux, c’est chez Mme  Gensonné qu’il a soin de descendre ; de Charleston, il envoie ses consolations à Mme  Louvet, désespérée de la mort de son mari ; c’est à lui que la belle-mère, la veuve, les belles-sœurs de Brissot s’adressent dans leurs embarras de tout genre. Recherchant avec persistance, avant son départ pour l’Amérique comme après son retour, les écrits qu’ont pu laisser les Girondins fugitifs et qui ont été saisis dans leurs dépouilles, il obtient la restitution des Mémoires de Barbaroux, et les remet à son fils en 1810,