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à ce moment, tel il restera jusqu’au bout. Il se sentait enchaîné, n’espérait rien, et, à travers quelques accès d’humeur, se résignait.

Il y avait cependant quelques petites crises. Nous en devinons une (voir lettre 148), à propos d’une excursion à Ermenonville où Bosc aurait voulu entraîner Madame Roland, et qu’elle finit par faire sans lui, avec son mari qui vint la chercher malade à Paris et la ramena à Amiens à petites journées. Une autre crise plus sérieuse éclata en septembre. Roland, nommé à l’inspection des manufactures de Lyon, quitte Amiens ; on s’arrête longtemps à Paris, on y revoit Bosc assidûment. Mais Madame Roland a la malencontreuse idée d’aller consulter, pour la santé de son mari, le médecin Alphonse Le Roy, alors très en vue dans le monde scientifique. Soit que Bosc détestât Alphonse Le Roy, soit que sa piété filiale s’irritât de voir Madame Roland ne plus avoir foi dans le régime que son père avait prescrit les années précédentes à l’inspecteur valétudinaire, soit plus simplement qu’il s’offusquât du mystère de la démarche, il fit à ses amis une véritable scène ; à Longpont, chez le curé Pierre Roland, où il les avait accompagnés sur le chemin de Lyon, à les quitta brusquement, en pleurant, sans vouloir leur dire adieu (voir lettre du 23 septembre) ; il fallut plusieurs lettres de Roland et de sa femme pour le ramener, et cela ne prit fin qu’au commencement de 1785.


§ 7. 1785-1789.

De 1785 à 1789, entre les Roland, établis en Beaujolais, et Bosc, de plus en plus répandu dans le monde savant, la correspondance se poursuit, amicale, enjouée, régulière. Peu d’incidents dans la vie de Bosc ; en 1785, nous le voyons sur le point de s’embarquer avec l’expédition de Lapérouse (voir lettre 193). Ses amis, le naturaliste Jean-André Mongez, et le chevalier de Lamanon, dont l’exemple le tentait, n’eurent pas, comme lui, le bonheur de se raviser. On peut suivre aussi, dans la Correspondance, mais d’une façon assez obscure, les diverses phases de sa carrière administrative ; il semble d’abord qu’il ait eu un avancement assez sérieux (lettre du 17 avril 1783) ; puis vinrent les contre-coups des remaniements essayés par la royauté en ce temps de continuelles réformes, — de l’édit de décembre 1785 (lettre du 24 janvier 1786), — de l’édit d’août 1787 (lettres des 18 novembre 1787 et 2 juin 1788). À travers tous ces « remaniements des postes », comme dit Madame Roland, il semble que la situation de Bosc, en définitive, soit allée se consolidant et s’améliorant.

Bosc tient ses amis au courant des nouvelles de Paris ; mais surtout il envoie à Roland notes sur notes (histoire naturelle, matières premières, etc.) pour le Dictionnaire, Madame Rotand stimule son zèle, lui raconte la vie paisible du logis et l’entretient, avec une insistance enjouée, de sa fille Eudora.

L’enfant était née en 1781, à Amiens, et Bosc, même avant de l’avoir vue, reportait sur elle en sollicitude l’attachement qu’il avait pour ses parents ; on voit à chaque instant, dans la Correspondance, qu’il tremble pour sa santé, qu’il se réjouit de ses progrès, Madame Roland part de là pour lui insinuer plaisamment que, puisqu’il ne doit pas songer à la mère, il pourra un jour aimer la fille ; que c’est une épouse qu’elle lui prépare. Ce badinage maternel devait un jour être pris au sérieux par l’excellent Bosc. Ce fut là fe grand drame de sa vie.