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fait des garçons, car les faiseurs d’espèces doivent s’entendre aux genres. Cependant, si je ne dois être de rien là-dedans, je ne vois pas trop pourquoi j’en parle ; passons donc à autre chose. Je me suis amusée, comme tu le verras, à fabriquer la Lettre académique[1] ; les vers en sont médiocres, je le sais fort bien ; mais, pour les faire meilleurs, il aurait fallu, suer, et, en bonne nourrice, j’ai craint d’échauffer mon lait. J’ai songé à l’Épître royale[2] ; je n’ai point encore su trouver un début qui me satisfasse. Dans le vrai, je suis trop distraite depuis quelques jours, ou plutôt trop interrompue, pour faire quelque travail de conséquence. J’espère avoir plus de tranquillité la semaine prochaine ; ma malade se lève, le temps s’éclaircit, mon feu brûle, tu m’as écrit, tu m’écriras, voilà des biens sans nombre.

Mais, à propos de ces derniers, les plus chers à mon cœur, je soupçonne que ta lettre d’hier, datée du 16, n’est pas la seule, la première que tu m’aies écrite ; je ne raisonne pas trop ce soupçon, mais enfin je l’ai, et il me tourmente ; n’aurais-je pas aperçu la marque de convention sur une lettre que je t’ai renvoyée[3] et qui m’arriva avec celle de M. Hoffmann ? Comment ce signe me serait-il échappé ? Aurais-tu oublié de le mettre ? Je ne sais,… Mais tu me parles si peu de toi dans ta lettre, que je sens, mieux encore que je ne juge, qu’elle n’est pas la première depuis ton départ. J’en attends une autre impa-

    Révolution française du 14 décembre 1896. — Le petit abbé « qui se frétille fort » doit être l’abbé Cordier de Saint-Firmin.

  1. Probablement une demande pour être nommé associé de l’Académie de Lyon. Roland échoua alors (voir au ms. 6243, fol. 99, une lettre adressée par lui, le 10 janvier 1782, à M. de la Tourrette, secrétaire perpétuel de l’Académie de Lyon, où il fait allusion à un ajournement qu’il a dû essuyer.) Il ne fut nommé associé que le 30 novembre 1784.
  2. Une lettre au roi de Prusse, pour lui demander d’être admis dans l’Académie de Berlin. Il y a au ms. 6243, fol. 59-60, un brouillon de cette lettre, datée d’Amiens, 25 décembre 1781, de l’écriture de Madame Roland, avec des corrections marginales de Roland. C’est donc bien elle qui l’a faite.
  3. Roland avait en effet écrit à sa femme une première lettre, le 14, le lendemain de son arrivée. On voit ici que, pour lui écrire en franchise, il inscrivait son propre nom sur l’enveloppe, mais avec un signe indiquant qu’elle eût à l’ouvrir, au lieu de la lui renvoyer comme une lettre de service administratif.