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commencées auprès de M. de Vergennes, — mais obtenir avant tout qu’une proposition ferme fût adressée à M. de Vergennes par le contrôleur général, chef suprême de l’inspecteur d’Amiens (depuis le 3 novembre 1783, c’était M. de Calonne), — et que le contrôleur général la fit d’office, sans que la demande eût à passer d’abord par les Intendants du commerce, intermédiaires hiérarchiques entre Roland et lui. C’était hardi, compliqué et peu réalisable ; on verra qu’elle dut bientôt se rabattre sur les Intendants.

Elle quitta Amiens le 18 mars (lettre de Roland, ms. 6240, fol. 92-93), accompagnée de sa fidèle bonne. Marie-Marguerite Fleury, laissant son mari et son enfant aux soins de la cuisinière Louison. Elle s’installa, comme d’usage, à l’hôtel de Lyon, où elle prit deux chambres au second (lettres des 21 et 24 mars). Elle trouva là, logé à l’étage supérieur, Lanthenas, sur le point d’achever sa médecine. Dès son arrivée, elle commença ses démarches, mettant en mouvement la cousine de Roland, Mlle de La Belouze, M. et Mme d’Arbouville et leur familier l’abbé Gloutier (voir lettre 98), auxquels elle était adressée par Cousin-Despréaux, utilisant les relations que lui procurait le manufacturier Flesselles, courant chez les Intendants du commerce, chez leurs secrétaires, frappant à toutes les portes avec l’intrépidité des solliciteurs novices. Nous ne la suivrons pas dans toutes ses courses, durant ces deux mois de fiévreuses poursuites. Le dénouement fut imprévu : le 20 mai, elle apprend qu’un remaniement administratif, la création des inspecteurs ambulants des manufactures, sorte de degré entre l’inspection provinciale et l’inspection générale, peut rendre vacante l’inspection de Lyon. Aussitôt elle la demande pour Roland, et, le 23 mai, c’était chose faite. Sa grâce vaillante lui avait conquis les bureaux des Intendants et les Intendants eux-mêmes. Quant aux lettres de noblesse, elle en fit aisément son deuil, ainsi que Roland. En poursuivant l’ombre, ils avaient rencontré mieux. Pourtant l’affaire n’avait pas tout à fait pris fin en juillet 1785 (lettre 198). C’est peut-être quelque tentative faite alors qui aura donné naissance aux commérages des prétendus Souvenirs de la marquise de Créqui (t. VII, p. 192-200 de l’édition de 1840). Ne les mentionnons que pour mémoire, car on ne discute pas avec un menteur de profession comme Causen de Courchamps.

Les lettres écrites par Madame Roland au cours de cette affaire trouveraient un complément intéressant dans celles qu’échangeaient au même moment Boss et son mari. Elles sont éparses aux ms. 6239 et 6240. Nous ne pouvons qu’y renvoyer, en en tirant seulement quelques lignes. Nous avons vu que, quinze jours après l’arrivée de Madame Roland à Paris, Bosc avait perdu son père et qu’elle lui avait témoigné, ainsi qu’à sa jeune sœur Sophie d’Antic, une sollicitude touchante. Bosc écrit à Roland, trois jours après son malheur, le 7 avril (ms. 6240, fol. 134) : « Mon ami, je dis seulement que si l’attachement que j’avais pour vous n’eût pas été à son dernier terme, la manière dont votre femme se conduit à notre égard ne nous eût pas permis de lui donner des bornes… ». Puis, le 14 avril : « … Je ne puis reconnaître ses marques d’amitié que par mon attachement. Il est vif… Je vous le dis dans la sincérité de mon cœur… J’ai assisté hier à l’ouverture de la lettre que vous lui avez adressée, et nous nous sommes embrassés à votre intention avec toute la vivacité de nos attachements mutuels. Les larmes se sont fait sentir sur ma paupière et je me suis dit : Tout l’univers ne m’abandonne donc pas dans mon malheur ! »

Il est clair que le pauvre garçon aimait Madame Roland, en toute honnêteté. Le mari le