Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il réussit pleinement, puisqu’il obtint un privilège de douze ans et 30,000 livres de gratification. Seulement, la manufacture, au lieu d’être établie à Poix en Picardie, fut installée à l’Épine, près d’Arpajon, dans un autre domaine du commanditaire, le maréchal de Mouchy. Le passage suivant, écrit par Roland en 1788, donne à ce sujet d’intéressants détails (Dict., t. II, 137) ;

J’ai vu avec étonnement, dans l’ouvrage de M. Carra (intitulé M. de Calonne tout entier, etc. Bruxelles, 1788), une anecdote que je ne puis me dispenser de relever…

…M. Carra dit avoir procuré au gouvernement, en 1785, l’acquisition des fameuses machines anglaises à carder et filer le coton ; il observe qu’il s’était agité durant dix-huit mois pour cet objet ; qu’il avait fait vingt mémoires pour en faire comprendre l’importance au ministère ; que le traité d’acquisition fut fait en sa présence, le 19 octobre 1785, par M. de Calonne, avec les sieurs Miln qui en étaient les inventeurs

Roland, après avoir réfuté les assertions de Carra, ajoute :

Les fameuses mécaniques à carder et filer le coton, par milliers de fils à la fois, l’eau servant de moteur, ont été inventées en Angleterre, par le nommé Arckright, plus de vingt ans avant qu’il ne fût question des sieurs Miln en France. J’ai annoncé l’existence de ces mécaniques au mois de décembre 1782, et l’espoir que j’avais qu’elles nous seraient bientôt apportées en France. Elles le furent en effet, trois mois après, par le sieur Martin ; j’en pris alors connaissance, et je les adressai à l’Administration. Elles furent placées à Paris, où l’on en suivit à loisir toutes les expériences ; le savant M. de Vandermonde en fit le rapport ; et le gouvernement, parfaitement éclairé sur les avantages de leur établissement, et de l’avis de M. de Calonne, devenu contrôleur général, autorisa cet établissement, par un arrêt du Conseil du 18 mai 1784, et des lettres-patentes du 9 juin suivant. L’établissement qui, d’abord, avait dû se faire à Poix, a été formé dans une autre terre du maréchal de Noailles[1], à l’Épine, près d’Arpajon, où il se trouvait une plus grande chute d’eau et plus de facilité dans le local. C’est là qu’il fleurit ; c’est ainsi qu’il s’est élevé, avant les soins de M. Carra, les sollicitations des sieurs Miln et leur traite d’octobre 1786. Si l’arrêt du Conseil et les lettres patentes en conséquence ne prouvaient pas évidemment ce que j’avance, indépendamment de ce que j’en ai publié avant de connaître les prétentions de M. Carra, je citerais, pour garant, M. de Vandermonde, employé à l’examen de ces mécaniques et chargé d’en faire un nouveau rapport en 1783 ; je citerais M. le prince de Poix, qui alla les visiter dans un atelier où elles furent déposées, à Paris, porte Saint-Martin ; tous les Intendants du commerce de ce temps-là, qui allèrent également les voir, ainsi que le contrôleur général, M. de Calonne lui-même ; plusieurs Intendants de province, entre autres M. Bertier, M. d’Agay, M. de Flesselles ; divers conseillers d’État ; des savants, des machinistes, des ouvriers, des inspecteurs, etc…

Toute la Correspondance, aussi bien que ces pages écrites de 1784 à 1788, montre que les relations continuèrent entre Flesselles et RoUnd, même après que ce dernier eût quitté Amiens.

  1. Ou, pour parler exactement, du maréchal de Mouchy, c’est-à-dire de Philippe de Noailles, duc de Mouchy, maréchal de France (1715-1794). Il avait épousé la dernière héritière de la maison d’Arpajon. – Guillotiné le 27 juin 1794.