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le sieur Roland rampait depuis six à sept années dans le bureau de Rouen, en qualité d’élève. M. Godinot, de l’épouse duquel il est parent, en était inspecteur en chef et sollicitait vainement M. de Trudaine d’employer son allié. Enfin il eut recours à M. Holker, dont le zèle surmonta la répugnance du magistrat, et le fit placer en qualité de sous-inspecteur à Lodève, en 17.., puis inspecteur à Amiens où il ne se fit pas aimer ; de sorte qu’il eût été révoqué sans les sollicitations réitérées du calandreur[1]… » Tous les témoignages que nous avons rassemblés et produits dans les Appendices D et E prouvent qu’ici l’avocat de Holker ment sans scrupule.

Mais Holker ne s’en tint pas là. Il porta ses plaintes à l’Administration, à l’Académie des Sciences, à M. de Montigny qui, depuis trente ans, comme nous l’a appris Condorcet, était comme le protecteur de son industrie.

L’Administration, quoique peu bienveillante pour Roland, refusa d’intervenir.

L’Académie et M. de Montigny prirent partie pour Holker. On fut pourtant quelque peu embarrassé ; comment blâmer « un ouvrage sérieux où l’on ne trouve rien contre personne ; qu’une Compagnie savante et respectable [l’Académie des Sciences] a marqué de son sceau, fait imprimer sous son privilège, dont l’historique a été composé sur des notes fournies par les membres d’une autre Compagnie qui mérite également un grand respect [l’Académie de Rouen] ». Ces notes, ajoute Roland, furent écrites de la main d’un des secrétaires de l’Académie de Rouen [l’abbé Deshoussayes] et envoyées par l’autre [M. de Couronne] ; ce très digne homme de lettres s’est félicité de ce qu’elles aient pu être utiles à l’auteur ; ces Messieurs ont lu son Art ; l’Académie [de Rouen] lui en a fait faire des éloges et des remerciements ». etc.

L’Académie des Sciences chercha un biais ; le mémoire de Roland avait été approuvé par M. de Montigny en 1776 ; il venait encore de l’être en 1780, au moment de l’impression, par une commission qui comprenait, outre Montigny, Condorcet, Tillet et Fougeroux de Bondaroy. Mais les commissaires s’avisèrent ou que l’Avertissement qui faisait scandale avait été ajouté par Roland sans avoir passé sous leurs yeux, ou qu’ils avaient approuvé le tout sans se rendre compte des audaces qui y étaient cachées. Bref, ils jugèrent que cet Avertissement devait être supprimé, et M. de Montigny en écrivit à Roland, qui lui répondit, le 5 juillet 1781, par deux lettres, l’une officielle, destinée à être mise sous les yeux de l’Académie, l’autre personnelle pour Montigny. Nous croyons superflu d’analyser ici ces deux lettres, d’un ton très digne et d’un tour très habile en même temps (et où il semble bien que Madame Roland ait mis la main), mais qui n’apportent aucun élément nouveau dans la question : il suffira de donner la conclusion de la première : « Je suis pénétré de respect pour l’Académie ; ses désirs sont des ordres ; mais son intention n’est pas de me juger sans m’entendre, et j’ose espérer qu’elle ne désagréera pas l’explication que j’ai l’honneur de vous adresser. Puisqu’elle veut s’occuper de cette affaire, je ne puis que désirer qu’elle en ait toutes les pièces. Si, après les avoir lues, elle persiste dans son sentiment, je motiverai son avis, ses intentions, et je publierai ce qu’elle exigera ».

En même temps, Roland envoyait copie de ces deux lettres à Fougeroux, à Tillet et à

  1. Cette brochure parut en juin 1781, comme on le voit par le début de la Réponse de Roland.