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sa réponse (Bibl. de Lyon, fonds Coste, n° 353441) et dans les autres pièces publiées peu après par ses amis et par lui (Lettres imprimées à Rouen en octobre 1781, ibid., 353442) s’en défendit avec dédain : « Personne n’ignore que M. H. n’usait point de son crédit pour les autres et que souvent, au contraire, il le leur rendait redoutable ».

Déjà, dans une lettre du 24 février 1764, écrite à Holker au moment où l’élève inspecteur de Rouen attendait la nomination d’inspecteur que Trudaine lui avait promise, Roland lui marquait d’une manière non équivoque combien il était fondé à croire qu’il usait de son crédit moins pour le servir qu’il n’en abusait pour lui nuire[1] ; sur quoi M. Trudaine, instruit du fondement des soupçons de M. de La Platière, lui manda, par sa lettre du 27 du même mois : « Je suis fâché que M. Holker vous ait inquiété… ».

La brochure holkériste reprochait à Roland trois lettres serviles qu’il aurait écrites à Holker père et fils les 1er, 19 janvier et 8 février 1773. — Mais, riposte Roland, pourquoi n’avoir pas imprimé les lettres dont vous donnez les dates ? Ces lettres n’avaient d’autre objet que d’obtenir la solde d’une partie de ses appointements, et par conséquent ne demandaient « autre chose que ce qui appartenait à M. de La Platière, et ce qu’il aurait eu huit jours, quinze jours plus tard, plut tôt peut-être. On sait que M. Holker était supérieur dans l’art de se faire valoir ».

On voit cependant, par cela même, qu’en 1773 Roland et Holker n’étaient pas encore brouillés. Il résulte aussi des renseignements épars dans cette polémique de 1781 que Holker étant venu à Amiens précisément en cette année 1773, pour y établir les apprêts anglais, y vit Roland, et que celui-ci lui donna à lire la relation du voyage qu’il avait fait en Angleterre deux ans auparavant, en 1771 ; puis, qu’ils allèrent ensemble visiter une manufacture près de Beauvais.

La vraie brouille, amère, implacable, fut amenée par une question de doctrine, où Holker avait un intérêt privé. Directeur d’une manufacture royale privilégiée, il estimait que les procédés industriels devaient, par raison d’État comme par calcul personnel, demeurer secrets. Roland, élève des deux Trudaine[2], pensait au contraire que ces procédés devaient être divulgués, et ne cherchait à les connaître que pour les répandre. Aussi les ateliers de Holker lui avaient-ils toujours été expressément fermés : « Vous représentez les ateliers de M. H. ouverts à tous ceux qui désiraient les visiter, tandis que M. D.L.P. [de La Platière], durant dix ans qu’il est resté à Rouen, n’a jamais pu pénétrer dans ceux de teinture ni d’aucun apprêt » (Réponse, etc.). Et Holker fils écrivait à Roland, le 10 avril 1775 (en réponse, sans doute, à quelque demande de renseignements) : « Je ne connais pas de procédé abrégé de couper le cannelé ; si nous avions quelque mystère à cet égard, je ne pourrais en disposer sans la participation de nos associés, qui s’y refuseraient sans exception » (Ibid.).

  1. …« M. Holker auquel il faisait assez sentir, dans sa lettre du 24 février 1764, qu’il avait déjà plus à en craindre qu’à en espérer… » (Réponse, etc.).
  2. « Tout en cherchant à connaître les secrets des autres nations, il ne cherchait pas à leur cacher ceux de nos manufactures… Toute protection, toute faveur accordée à une branche particulière d’industrie lui paraissait souvent un mal et presque toujours une injustice… » (Éloge de Trudaine de Montigny, par Condorcet).