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La Chambre de commerce répond le 8 mars à l’Intendant. Elle cède, mais de mauvaise grâce, et sans dissimuler ses « craintes » sur la suite de cette « innovation » et en redoutant les mêmes abus qui se sont produits « lorsque le peuple a été admis aux charges municipales, abus si blâmables qu’on a dû révoquer l’édit ». L’Intendant transmet cette réponse à Trudaine le 23 mars, en ajoutant que les dangers signalés sont réels et qu’il demande du moins, pour écarter « les mauvaises têtes ou les ignorants », qu’aucun fabricant ne puisse entrer au Consulat ou à la Chambre de commerce qu’après qu’il aura agréé sa nomination. Une note en marge dit : « MM. du Commerce font la reculade. Ils ont reçu des réponses des différentes villes de manufactures qui ne sont pas favorables à leur prétention. »

Roland et les fabricants finirent par avoir raison des marchands.

En 1774, c’est sur un autre point que la lutte s’engage : il s’agit de protéger les ouvriers contre la servitude (le mot n’est pas trop fort) où voudraient les tenir les fabricants privilégiés.

La manufacture royale des moquettes et velours des sieurs Hecquet et fils, d’Abeville, demandait un règlement

… qui défendrait à tout ouvrier de moquette et velours de leurs manufactures de quitter leurs métiers… que six semaines après en avoir averti le maître en présence du bâtonnier des ouvriers et de ses prévôts, afin que, pendant cet intervalle, les sieurs Hecquet puissent mettre le plus capable de leurs apprentis en état de remplacer l’ouvrier ou les ouvriers qui voudraient quitter… Ce règlement… maintiendrait une subordination nécessaire pour soutenir la perfection des étoffes de cette manufacture et leur réputation…

Roland, consulté, répond MM. Hecquet « méritent sans doute l’attention et la protection du Gouvernement. Un zéle soutenu de génération en génération dans des établissements utiles et une probité qui leur vaut la considération et l’estime de tout le monde leur donnent droit à ces demandes et l’espoir de les obtenir. Mais si une faveur accordée à l’un est onéreuse à l’autre, elle est une injustice. Tout règlement de police entre les maîtres et les ouvriers n’est qu’une convention réciproque revêtue du sceau de l’autorité : autrement, elle ne serait pas plus la preuve du pouvoir que celle de l’abus qu’on en ferait contre le faible », 6 mai 1774 (Inv. des Archives de la Somme, C. 326).

En même temps, Roland intervient contre un monopole arbitraire des marchands d’Amiens. Il signale à Trudaine l’abus par lequel les gardes-marchands et autres de la ville d’Amiens exigent des droits des marchands des autres villes qui envoient apprêter leurs étoffes à Amiens, prétention aussi arbitraire que nuisible à l’industrie, et Trudaine demande (30 mai 1774) des explications à l’Intendant, qui saisit à son tour la Chambre de commerce (8 juin). La Chambre riposte (20 juin) que « les craintes de M. Roland ne sont pas fondées ; elles sont suggérées par les apprêteurs, etc… » et l’Intendant répond à Trudaine dans le même sens (5 juillet). Mais le ministre en décide autrement : « Si les plombs ont déjà été apposés au lieu de la fabrication, ils ne doivent pas l’être une seconde fois » (Trudaine à l’Intendant, 27 juillet). Il demande d’ailleurs « pourquoi ces droits se montent à 3 livres par pièce, celui de contrôle ne devant être que de 1 sou par pièce ». Et, là encore, la Chambre de commerce capitule.