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Au demeurant, tout ce détail des difficultés que rencontra Roland pour imprimer son ouvrage est singulièrement instructif et nous montre à l’œuvre l’administration de 1780.

À la voir entasser, pendant trente mois, tant de précautions contre un livre, on se demande s’il ne portait pas la tempête dans ses flancs. Hélas, non ! Ayons le courage de lire les six volumes in-12 des Lettres d’Italie[1], nous devrons avouer que l’ouvrage, curieux et renseigné à beaucoup d’égards, est mal fait (Michel Cousin y était d’ailleurs pour quelque chose), et d’une digestion difficile. Aussi le succès fut-il médiocre. Dès le 5 janvier 1782, Roland écrivait : « Mon livre court encore à petites jambes… » Et le 13 janvier, à propos des critiques qui lui revenaient déjà : « Tout ce qu’on voudra sur les Lettres d’Italie… si jamais il s’en fait une seconde édition, nous corrigerons. D’ici là, il faut écouter et profiter. » Dans une lettre du 16, Madame Roland récrimine contre Michel Cousin : « Ce cher Avocat du roi, avec sa bonne volonté et tout son travail, t’a impitoyablement gâté. Avis, comme tu le dis fort bien, pour une autre édition… » ; et Roland de répondre, le 19 : « Les macules dieppoises dont l’ouvrage est rempli me font à jamais regretter d’avoir eu l’idée d’y faire imprimer et censurer… ». Dans une autre lettre du 27 octobre 1782, nous voyons que la mauvaise humeur subsiste contre les amis de Dieppe : … « Et, quand tous les hasards me favoriseraient, il est impossible que mon argent me rentre, sans compter le dépit d’être revêtu à la dieppoise, ce dont le censeur, le lourd H. [Houard], est indigné, regardant comme une injure qu’on l’accuse de telles, telles, telles prétendues corrections, faites sans goût, sans principe et sans raisons ». Puis, prévoyant que Cousin-Despréaux va lui demander de revoir et corriger la suite de son Histoire de la Grèce, il ajoute : « … Sûrement, je ne suis pas près de lire son manuscrit, je suis las d’avoir fait des ingrats ».

Pendant toute l’année 1783, Roland et les Cousin se boudent ; les deux frères n’apparaissent plus dans la Correspondance. Mais en 1784, la réconciliation a eu lieu, au moins avec Cousin-Despréaux ; c’est lui, qui, par l’abbé Gloutier, met les Roland en relation avec la marquise d’Arbouville, pour leurs sollicitations en vue des Lettres de noblesse, et, lorsque Roland quitte Amiens, il va, avec sa femme, faire un séjour chez Despréaux avant de gagner Paris (voir lettre du 28 août 1784). De même, dans le voyage qu’il fera de Villefranche à Amiens en 1786, il aura soin de passer par Dieppe.

Mais le Voyage d’Italie ne s’en vend pas davantage :

« M. de Montaran [un des Intendants du commerce] déprécie et blâme le Voyage d’Italie, dans lequel il prétend que tu as manqué à tous et à tout le monde. » (Madame Roland, 21 mars 1784.)

… « Parlons de ton édition dont le sort n’est pas peu embarrassant… » (Id., 27 mars.) (Suit une proposition au moins singulière : traiter avec plusieurs libraires, à la fois, sans qu’ils fussent instruits réciproquement de la chose.)

… « Fais pour le Voyage d’Italie comme tu l’entendras ; il en reste encore six à sept cents exemplaires. » (Roland, 29 mars 1784.)

  1. Exactement, Lettres écrites de Suisse, d’Italie, de Sicile et de Malthe, par M***, avocat au Parlement, et de plusieurs académies de France et des Arcades de Rome… à [illisible] à Paris, en 1776, 1777 et 1778. — À Amsterdam, 1780, 6 vol. in-12.