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395-396 : Aulard, Salut public, V, 276-279 ; Buchez et Roux, XXVIII, 250-296 ; XXIX, 446 ; Vatel, Girondins, II, 359.)

Il écrivait aussi des Mémoires historiques (Bosc, Avertissement).

Quand il apprit, le 10 novembre, « qu’on allait égorger sa femme »[1], il eut avec ses amies une délibération d’un courage extraordinaire, que Champagneux (Disc. prélim.) a racontée en dramatisant un peu, mais que nous tenons pour vraie dans son point essentiel. Il ne voulait pas survivre à celle qu’il avait tant aimée ; il hésitait entre deux déterminations : se tuer, ou aller se livrer à la Convention. Dans ce cas, c’était aller au tribunal révolutionnaire et à l’échafaud, ce qui entraînait la confiscation de ses biens et la spoliation de sa fille. Il se décida pour le suicide, sortit de chez ses amies à six heures du soir, et alla se tuer à quatre lieues de là, sur l’avenue du château de Radepont, où, dans la matinée du 11, on releva son cadavre.

Parmi les pièces trouvées sur lui était un papier portant l’adresse suivante : « À la citoyenne Aimée Malortie, rue aux Ours, à Rouen. » Legendre et Delacroix, ignorant le long séjour de Roland chez les demoiselles Malortie, crurent que c’était « l’adresse de la personne chez laquelle sans doute il se proposait de descendre à Rouen »[2] et, en rendant compte de l’événement à la Convention, ajoutèrent que « cette personne est en état d’arrestation ».

C’est le même jour que le Journal de Rouen annonçait le suicide : « Le bruit court que l’ex-ministre Roland s’est tué lui-même aux environs de Bourg-Beaudouin, sur la route de Rouen à Paris », et c’est par ce journal que les demoiselles Malortie connurent la fin de leur malheureux ami. Elles eurent ainsi le temps, prévoyant une perquisition, de jeter au feu ces Mémoires historiques laissés par Roland, dont parle Bosc. Deux heures après, Aimée Malortie était arrêtée sur un ordre du Comité de surveillance signé Regnault, mise d’abord pendant trente-six heures dans un cachot de la Maison de justice, puis, le 26 brumaire-16 novembre, transférée à la prison des Gravelines[3].

Ses amis ne l’abandonnèrent pas. Sur une des pétitions adressées par elle en frimaire au ii [novembre-décembre 1793] pour obtenir sa mise en liberté du Comité de Rouen, est restée épinglée cette note : « Recommandé par le citoyen Descroizilles »[4]. Descroizilles, dont nous avons parlé plus haut, se trouvait en état d’intervenir, étant l’ami et l’associé de M. de Fontenay, alors encore maire de Rouen.

Nous ignorons à quelle date Aimée Malortie fut élargie. Mais l’épreuve n’avait pas arrêté son ardeur de dévouement. Deux ans après, en novembre 1795, nous trouvons les deux sœurs en correspondances avec Bosc[5], l’ami des Roland, le tuteur de leur fille Eudora. Bosc a eu le malheur de s’éprendre de sa pupille, bien que ayant vingt-deux ans de plus qu’elle ; il veut l’épouser, mais il sent en même temps que, jusqu’à ce que le mariage soit décidé, il ne peut la garder sous son toit, et il demande aux vieilles amies de Rouen de prendre la garde de l’orpheline. Elles acceptent sans un moment d’hésitation. Malgré un état

  1. Voir, dans la Révolution française du 14 juillet 1895, notre « Note critique sur les dates de l’exécution de Madame Roland et du suicide de Roland ».
  2. voir leur lettre à la Convention, du 23 brumaire-13 nov., Aulard, Salut Public, VIII, 399.
  3. F. Clérembray, « La Terreur à Rouen », dans La Normandie de décembre 1898.
  4. Ibidem.
  5. Voir Appendice K.