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C’est dans ce milieu paisible et modeste, mais très cultivé néanmoins, que Roland fut accueilli pendant son séjour à Rouen à partir de 1761 ; c’est là qu’il aima pour la première fois, et qu’il revint souvent. Il y était en janvier 1779 ; en janvier 1781, il y envoie sa femme ; en août 1784, il y retourne avec elle ; il y revient en 1786. « Les deux amies », «les amies de Rouen », voilà le terme qui reparaît fréquemment dans la Correspondance.

L’amitié qui l’y accueillait était vaillante : lorsqu’en juillet 1781 éclata entre Roland et le grand manufacturier de Rouen, Holker, la violente querelle que nous raconterons en son lieu (voir App. G), les deux sœurs s’y associèrent avec une singulière passion, et Madame Roland écrit à son mari, le 25 juillet 1781 : « Les deux sœurs pensent et parlent comme écrivait la cadette… »

Pendant tout le séjour des Roland en Beaujolais (1784-1791), la correspondance continue, soutenue et confiante.

Le 22 mars 1791, Madame Roland, installé depuis un mois à Paris, écrit à Bancal : « J’ai été fort occupé, ces jours-ci,… d’une ancienne amie de notre ami [Roland], que ses affaires ont appelée de la Normandie à Paris, qu’elle ne connaissait pas encore… ». Il s’agit évidemment d’une des demoiselles Malortie, amenée à Paris par l’affaire de l’indemnité qu’elles réclamaient à la suite de la suppression du Chapitre de la Cathédrale.

En juin 1793, c’est chez ses vieilles amies que Roland, proscrit, vient chercher asile. « Depuis le 24 juin », dit Champagneux[1] ; disons plutôt depuis le 20 juin, car, dès le 22, Madame Roland le savait à Rouen : « Il est maintenant dans son voisinage », écrivait-elle ce jour-là à Buzot réfugié à Caen. Et, le 6 juillet : « Il est à Rouen, bien près de toi, comme tu vois, chez de vieilles amies, et parfaitement ignoré, bien doucement, bien choyé… ». Et, en août (seconde arrestation, Mém., I, p.217) : « Je savais Roland dans une retraite paisible et sûre, recevant les consolations et les soins de l’amitié… » Cf. ibid, p. 223.

Roland passa près de cinq mois (20 juin-10 novembre) dans cette retraite, c’est-à-dire dans la maison de la rue aux Ours. Elle existe encore, au n° 15, et est occupé, avec les deux maisons attenantes (nos 13 et 17), par M. Mariette, fabricant de chaussures et mercier en gros.

Là, le vieillard proscrit continuait à correspondre avec sa femme. Nous ne savons par quel moyen, mais les faits ne permettent pas d’en douter. À Sainte-Pélagie comme à l’Abbaye, elle sait où se trouve son mari et les douleurs qui le dévorent. Elle parle de « son état moral, si triste, si accablant » (à Buzot, 6 juillet) ; elle sait que, tout entier à son ressentiment contre Buzot, il prépare « pour le livrer à l’exécution publique… des écrits empoisonnés », et c’est seulement dans les derniers temps, en août, qu’elle obtient qu’il les brûle (voir lettre du 31 août à Buzot et lettre 551 à Jany). Et malgré tout, il s’occupe du moyen de faire évader la prisonnière (lettres à Buzot, 3 et 6 juillet), peut-être en faisant appel à cette généreuse Henriette Cannet dont il avait autrefois dédaigné l’amour !

Et pendant ce temps, ses persécuteurs le croyaient réfugié à Lyon, soulevant cette ville contre la Convention (Mém., I, passim ; Champagneux I, Disc. prélim., liii, II, 195, III,

  1. imprime 1792, mais c’est une faute de typographie évidente, que M. Dauban (Étude, p. ccxlix) a reproduite.