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Mais ces chanoinesses avaient, comme les chanoines, la faculté de résigner leurs bénéfices, et par suite le droit de Commitimus aux Requêtes du Palais. Ces très modestes prébendes étaient donc recherchées. Les demoiselles Malortie en possédèrent-elles réellement ? Nous en doutons, car leurs noms ne se rencontrent pas sur les listes que donne la France ecclésiastique. Elles apparaissent d’ailleurs jamais sous ce titre dans la Correspondance, bien que leur adresse « Mlles Malortie, rue aux Ours, à Rouen » s’y rencontre plus d’une fois. Mais il n’en résulte pas moins des premières indications données plus haut qu’elles tenaient, par les services de leurs parents et les leurs, au chapitre de la cathédrale, et que leur vie s’est en quelque sorte écoulée à l’ombre de l’église Notre-Dame.

Nous avons vu que le père devait être mort en 1777. La mère vivait encore au commencement de 1779, car Marie Phlipon, écrivant à Roland le 3 janvier de cette année-là (ms. 6238, fol. 7-8), adresse sa lettre « chez Madame Malortie, à Rouen, en Normandie ». La lettre ne portant pas d’autre indication, mais ayant été transmise par la poste (elle est taxée), on peut induire que Mme  Malortie était bien connue dans sa ville. Mais elle devait être morte deux ans après, car les lettres de Roland à sa femme des 6, 11 et 18 fèvrier 1781 (ms. 6240, fol. 85-89) ont pour suscription : « Chez Mlles Malortie, rue aux Ours, à Rouen ».

Les demoiselles Malortie (sans parler de celle qui aurait épousé on Lefebvre) étaient au nombre de trois :

D’abord, la plus jeune, celle que Roland aima et devait épouser, qui mourut prématurément, et qu’il pleura, comme le dit M. Faugère, en prose et en vers. C’est sous le nom de Cléobuline qu’il la célébra. Les allusions à cet honnête roman de sa jeunesse sont fréquentes dans la Correspondance (Lettres du 8 février 1779, ms. 6238, fol. 16-17 ; Join-Lambert, XI ; du 25 juillet 1781 ; du 26 août 1783, etc.,). Nous avons d’ailleurs, au ms. 9532, fol. 349-354, l’espèce de thrèbe en prose que Roland composa pour pleurer sa perte. Nous y apprenons qu’elle était née en 1738, qu’il la connut en 1761 et que, lorsqu’elle mourut en 1773, il était accouru d’Amiens auprès d’elle[1].

Des deux survivantes, la cadette s’appelait Aimée : nous ignorons le prénom de l’autre ; elle signe ses lettres « Malortie aînée ».

Il semble que les demoiselles Malortie (l’aînée et Aimée) aient vécu, sans doute après la mort du père et de la mère, c’est-à-dire précisément à l’époque où se déroule la Correspondance, dans une assez grande gêne et aient dû plus ou moins subsister en faisant de la couture ou de la lingerie[2], avec une de leurs nièces, appelée Mlle  Malœuvre. Mais cela ne les empêchait pas de recevoir, le soir, des amis instruits et distingués, les Grecs dont parle l’élégie de Roland (cf. la lettre du 28 janvier 1781), et on s’explique par là le mot de M. de La Querrière cité tout à l’heure « femmes d’esprit ».

  1. « Thalès aux sœurs de Cléobuline et à tous les Grecs, salut et consolation. » Nous avons dit que Thalès était le nom de Roland dans la petite société ; les Grecs désignent les autres membres.
  2. Voir lettre de Roland à Marie Phlipon, du 19 mai 1779, Join-Lambert, XXXVI ; — lettre de Madame Roland à son mari, 28 janvier 1781 ; — lettre de Roland à sa femme, 11 février 1781, ms. 6240, fol. 86-87 ; – lettre de Madame Roland du 23 novembre 1781, etc. Cf. Tableau de Rouen, 1777, p. 403.