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J’attends avec impatience, et je crains maintenant d’être privée d’avouer mes amis en leur présence. Vous jugez, mon ami, que, dans tous les cas, il faut attendre et non commander la catastrophe ; c’est sur cela seul que nous ne sommes pas complètement d’accord : il me semblait qu’il y avait de la faiblesse à recevoir le coup de grâce quand on pouvait se le donner, et à se prodiguer aux insolentes clameurs d’insensés aussi indignes d’un tel exemple qu’incapables d’en profiter. Nul doute qu’il fallait faire ainsi, il y a trois mois ; mais, aujourd’hui, c’est en pure perte pour la génération ; et quant à la postérité, l’autre résolution, ménagée comme je vous l’exprime, n’est pas d’un moins bon effet.

Vous voyez que vous ne m’aviez pas bien comprise. Examinez donc la chose sous le point de vue où elle m’a frappée ; ce n’est pas du tout celui où vous l’envisagez : je consens à accepter votre détermination quand vous l’aurez ainsi réfléchie. J’abrège pour que vous ayez cette réponse par la même voie ; il me suffit d’indiquer ce que la méditation vous fera développer à loisir.

Ma pauvre[1] petite ! où donc est-elle ? Apprenez-le-moi, je vous prie ; donnez-moi quelques détails, que mon esprit puisse du moins la saisir dans sa situation nouvelle. Touchée de vos soins, vous jugez que je sens aussi l’amertume de toutes ces circonstances. J’apprends que mon beau-frère est en arrestation[2] ; sans doute, le séquestre de ses biens n’est pas levé, et peut-être aura-t-il à craindre la déportation.

Considérez que votre amitié, trouvant très pénibles les soins que je réclamais d’elle, peut aisément vous faire illusion sur ce que vous devez ou pouvez à cet égard : tâchez de penser à la chose, comme si ce n’était ni vous, ni moi, mais deux individus dans nos situations respectives soumis à votre jugement impartial. Voyez ma fermeté, pesez les raisons, calculez froidement, et sentez le peu que vaut la canaille qui se nourrit du spectacle.

Je vous embrasse tendrement. Jany vous dira ce qu’il est possible de tenter un matin ; mais prenez garde de ne pas vous exposer.

  1. Eudora Roland n’était plus chez Creuzé-Latouche. Voir la lettre suivante.
  2. C’est le 17 octobre, huit jours après la chute de Lyon, que le représentant en mission Reverchon était arrivé à Villefranche et y avait renouvelé le district et la municipalité (Arch. commun. de Villefranche). Les arrestations des suspects durent avoir lieu bien peu de temps après, puisque, le 27, Madame Roland est déjà informée de celle du chanoine.

    Le séquestre apposé sur les biens des Roland et au Clos, les 18-20 août, avait été levé les 27-30 septembre, mais fut apposé de nouveau après l’arrestation de Dominique Roland. — Voir Appendice R.