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Le brigand qui persécute, l’homme exalté qui injurie, le peuple trompé qui assassine, suivent leur instinct et font leur métier ; mais l’homme en place qui les tolère, sous quelque prétexte que ce soit, est à jamais déshonoré.

Fais maintenant de beaux écrits, explique en philosophe les causes des événements, les passions, les erreurs qui les ont accompagnés, la postérité dira toujours : Il fortifia le parti qui avilit la représentation nationale, il invita la Convention à plier devant une poignée d’anarchiste ; il prêta secours et appui à une commune usurpatrice, qui méconnut l’autorité législative et proscrivit la vertu.

Va ! je sais ce que précèdent ordinairement ces provocations outrageantes. Que m’importe ! depuis longtemps je suis prête. Dans tous les cas, reçois cet adieu, que j’envoie comme le vautour ronger ton cœur.


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[À BUZOT, À CAEN[1].]
22 juin [1793]. — de l’Abbaye.

Combien je les relis[2] ! Je les presse sur mon cœur, je les couvre de mes baisers ; je n’espérais plus d’en recevoir !… J’ai fait inutilement chercher des nouvelles de Mad. Ch.[3] ; j’avais écrit une fois à M. Le Tellier, à E.[4], pour que tu eusses de moi un signe de vie ; mais la poste est violée ; je ne voulus rien t’adresser, persuadée que ton nom ferait intercepter la lettre et que je

  1. Publié, avec fac-similé, par M. Dauban (Étude sur Madame Roland, 1864, p. 16-23). — Bibl. nat., ms. n. A. fr., n° 1730.
  2. Les lettres que Buzot, qui avait quitté Paris le 2 juin, lui avait écrites de Caen le 15 et le 17 juin, en les faisant passer par de Perret, qui les avait remises à Petion, lequel les avait confiées à Mme Goussard, qui parvint jusqu’à la prisonnière. — Cf. Mém., I, 203-204. — Nous allons parler plus loin de Mme Goussard.
  3. Mme Chollet. L’amie de Louvet, Marguerite Denuelle, mariée à un sieur Chollet, avait divorcé avec lui en septembre ou octobre 1792 ; Louvet et elle allaient quitter Paris le 24 juin (Mém. de Louvet, éd. Aulard, I, 101), pour se réfugier à Évreux, puis à Caen. Nous la retrouverons plus loin.
  4. À Évreux. — L’ami d’enfance de Buzot, Jérôme Le Tellier, qui avait été le premier maire constitutionnel d’Évreux, était le confident du secret de Madame Roland et de Buzot, et le dépositaire des papiers intimes de celui-ci. Mis en arrestation le 30 septembre 1793, il se tua dans sa prison le 3 janvier 1794.