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faire sortir ceux qui s’y trouvent détenus sans cause ; dernièrement encore, il en a été rendu un autre qui vous prescrit de vous faire représenter les mandats d’arrêt, d’examiner s’ils sont motivés et de faire interroger les détenus.

Je vous fais passer copie certifiée de celui en vertu duquel j’ai été enlevée de mon domicile et amenée ici.

Je réclame l’exécution de la loi pour moi et pour vous-même. Innocente et courageuse, l’injustice m’atteint sans me flétrir, et je puis la subir avec fierté dans un temps où l’on proscrit la vertu. Quant à vous, placé entre la loi et le déshonneur, votre volonté ne peut être douteuse, et il faudrait vous plaindre si vous n’aviez pas le courage d’agir en conséquence[1].


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AU MINISTRE DE L’INTÉRIEUR[2].
8 juin 1793, — [de l’Abbaye].

Je sais que vous avez fait l’envoi de mes réclamations au Corps législatif[3] ; ma lettre n’a pas été lue ; vos devoirs sont-ils remplis pour l’avoir adressée à ma prière ? J’ai été arrêtée sans déduction de motif, je suis détenue depuis huit jours ; je n’ai pas été interrogée. C’est à vous, homme public, lorsque vous n’avez pu préserver l’innocence de l’oppression, à vous efforcer de l’en délivrer.

Vous êtes plus intéressé que moi peut-être au soin que je vous invite à prendre ; je ne suis pas la seule victime de la prévention ou de l’envie, et leurs poursuites actuelles contre tout ce qui présente la réunion du caractère au talent, à la vertu, rend honorable la persécution dont je suis l’objet ; je la dois à mes liens avec l’homme vénérable que la postérité vengera. Mais vous,

  1. Madame Roland avait d’abord écrit : « Mais vous, placé entre la loi et le déshonneur, il faut quitter votre place ou la remplir, ou avouer l’infamie dont la postérité couvrira la faiblesse de vos pareils. » Sur le conseil de Grandpré, l’inspecteur des prisons qui s’intéressait à elle, elle adoucit ce passage (Mém., I, 45-45).
  2. Bosc, I, 29 ; Faugère, I, 45. — Ms. des Mémoires, fol. 28 v°.
  3. C’est par Champagneux, resté chef de division à l’Intérieur sous Garat comme il l’avait été sous Roland, et qui n’en venait pas moins visiter assidûment la prisonnière, qu’elle était informée des timides démarches tentées par Garat en sa faveur.