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À LAVATER, À ZURICH[1].
De Paris, — 15 janvier an second [1793].

N’attribuez pas mon silence, mon cher Lavater, à aucune cause indigne de mon amitié. La situation violente dans laquelle nous sommes ne me laisse pas un moment de liberté. Toujours dans la tempête, toujours sous la hache populaire, nous marchons à la lueur des éclairs, et, sans cette paix de la conscience qui résiste à tout, il y aurait de quoi s’ennuyer de la vie. Mais avec un peu de force dans l’âme, on se familiarise avec les idées les plus difficiles à soutenir, et le courage n’est plus qu’une habitude. Je n’ai pas le temps de vous entretenir, mais j’ai voulu vous assurer que j’avais reçu avec un tendre intérêt les sages et touchantes observations que vous m’aviez adressées ; je les ai remises à des législateurs qui les feront valoir dans l’occasion. Je vous envoie mon portrait[2] et vous réitère l’éternelle affection que je vous ai vouée. Mon brave mari vous embrasse et poursuit sa carrière en homme de bien ; la proscription flotte sur nos têtes, mais il faut ramer toujours, atteindre au but, s’il est possible, et mériter jusqu’à l’ostracisme, s’il doit être la récompense de la vertu.


Roland, née Phlipon.
  1. Publié par G. Finsler, op. cit ; — ms. 9533, fol. 187 (copie). — Lavater, dans une longue lettre du 28 décembre 1792, que donne M. Finsler et qui se trouve en copie au ms. 9533, fol. 190-193, avait insisté de nouveau pour que Roland fît modifier les lois contre l’émigration et lui avait conseillé, s’il n’y parvenait pas, de quitter le ministère.
  2. Probablement le même portrait que celui envoyé à Servan vingt jours auparavant.