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tretenir, le plaisir et l’utilité que goûtent les bons citoyens en exprimant leurs sentiments, en éclairant leurs opinions. Plus vous me paraissiez différer sur une question intéressante avec des hommes dont j’estime les lumières et l’intégrité, plus il me semblait important de rapprocher ceux qui n’ayant qu’un même but, devaient se concilier dans la manière de l’atteindre. Quand l’âme est fière, quand les intentions sont droites et que la passion dominante est celle de l’intérêt général, dépouillée de toute vue personnelle, de toute ambition cachée, on doit s’entendre sur les moyens de servir la chose publique.

Je vous ai vu, avec peine, persuadé que quiconque avec des connaissances pensait autrement que vous sur la guerre n’était pas un bon citoyen.

Je n’ai point commis la même injustice à votre égard ; je connais d’excellents citoyens qui ont une opinion contraire à la vôtre, et je ne vous ai pas trouvé moins estimable pour voir autrement queux. J’ai gémi de vos préventions, j’ai souhaité pour éviter d’en avoir aucune en moi-même de connaître à fond vos raisons. Vous m’aviez promis de me les communiquer, vous deviez venir chez moi… Vous m’avez évitée, vous ne m’aviez rien fait connaître, et, dans cet intervalle, vous soulevez l’opinion publique contre ceux qui ne voient pas comme vous ! Je suis trop franche pour ne pas vous avouer que cette marche ne m’a pas paru l’être.

J’ignore qui vous regardez comme vos ennemis mortels : je ne les connais pas ; et certainement je ne les reçois pas chez moi de confiance, car je ne vois à ce titre que des citoyens dont l’intégrité m’est démontrée et qui n’ont d’ennemis que ceux du salut de la France.

Rappelez-vous, Monsieur, ce que je vous exprimais la dernière fois que j’ai eu l’honneur de vous voir : soutenir la Constitution, la faire exécuter avec popularité, voilà ce qui me semblait devoir être actuellement la boussole du citoyen, dans quelque place qu’il se trouve. C’est la doctrine des hommes respectables que je connais, c’est le but de toutes leurs actions, et je regarde vainement autour de moi pour appliquer la dénomination d’intrigants dont vous vous servez[1].

    après la déclaration de guerre à l’Autriche (20 avril), et au moment même de cette orageuse séance du 25 avril (Aulard, t. III, p. 524-536), où l’on vit aux prises Brissot, Guadet et Robespierre. — Voir d’ailleurs l’Avertissement de 1792.

  1. « La Cour et les intrigants dont la Cour se sert », avait dit Robespierre aux Jacobins, le 20 avril (Aulard, t. III, p. 518), dans un discours plein d’insinuations perfides contre le ministère. Ce rapprochement seul suffirait à justifier la date que nous res-