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avons été empêchés par cette préoccupation si ordinaire dans la capitale au milieu des événements publics et des affaires de chacun. J’espère qu’il arrivera ce matin de vos nouvelles, mais peut-être ne les recevrons-nous que demain ; car Bs [Bosc] est absent depuis deux jours, et c’est notre raison de vous expédier celle-ci directement. La marche de la législature est toujours conséquente à son extrême corruption, c’est un véritable renversement de la Constitution, une ironie de la Déclaration des droits. Nous voici avec des prince, citoyens non éligibles ; avec un roi inviolable, environné d’assassins militaires à ses ordres ; avec des électeur à argent, etc., etc. Les papiers publics vous rendent toutes ces odieuses lois, vrais poisons de la liberté. Je commence à applaudir aux derniers excès de l’Assemblée, à désirer les plus grands comme le seul moyen de réveiller l’opinion publique dont le sommeil me tue.

On commence à sentir et l’on a dit hautement hier aux Jacobins qu’il fallait que la prochaine législature fût constituante[1]. Je ne voudrais pas qu’on révélât cette vérité dans la capitale, l’Assemblée présente ne voudra plus s’en aller.

Ma santé ne m’a pas permis de partir aussitôt que je me l’étais proposé ; je crois pouvoir actuellement compter sur elle et je pars samedi pour être à Villefr[anche] le jeudi 8 septembre.

Nous attendons impatiemment l’assurance de quelque acquisition que vous aurez faite pour notre société, car les finances sont dans un état horrible. Avertissez les patriotes acquéreurs d’exiger qu’on estampille les assignats prix de leur vente ; cela ne se fait pas toujours ici, et ce désordre, joint à tant d’autres, peut amener un bouleversement épouvantable. La nouvelle monnaie, dont on fabrique beaucoup, est toujours invisible pour le peuple ; les petits billets de section disparaissent, les denrées enchérissent, et il se pratique sûrement encore quelque diablerie.

J’espère peu des élections de Paris ; on parle cependant du brave Garran, mais comme il est aussi question de Pastoret[2], je crains que l’honnête homme ne soit mis en avant pour cacher l’autre et amuser les patriotes. On redouble d’efforts, et d’horreurs contre Brissot.

  1. Et qu’elle pût, dès lors, reviser la Constitution. (Voir Aulard, t. III, p. 106-107.)
  2. Claude-Emmanuel-Joseph-Pierre de Pastoret (1755-1840), procureur-général-syndic du département de Paris, élu, le 3 septembre 1791, député de Paris à l’Assemblée législative, où il fut un des chefs de la droite constitutionnelle. On connait la suite de son rôle politique.