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cette influence. La division se fomente dans les gardes nationales ; cet état est violent, et il doit nécessairement conduire à une rupture éclatante. Malheureusement, je ne vois pas encore assez d’ensemble dans le bon parti ; on n’a point de credo commun sur tous les points duquel on soit bien d’accord, seulement on ne veut pas de Louis XVI, et l’on désire également le changement de législature ; mais, pour tout ce qui est subséquent, on diffère à l’infini.

Quant au premier article, notre Assemblée est déclarée, et, quant au second, il est clair qu’elle ne veut ni se séparer avant la fin de la Constitution, ni hâter cette fin, ni laisser nommer à l’avance ses successeurs.

Encore une fois, les matériaux de l’insurrection et de la guerre civile s’amassent et s’amoncellent chaque jour ; le feu éclatera au premier instant.

Le décret d’hier au soir démontre l’assurance et l’audace du parti ; il rend plus difficile une opposition légale au rétablissement de Louis XVI, puisque son sort est prononcé ou remis entre ses propres mains par ce décret[1].

Toute la cavalerie est aujourd’hui sur pied ; la municipalité répand et fait afficher ses exhortations ordinaires et insignifiantes de paix et de confiance ; les calomnies contre les patriotes sont plus actives et plus multipliées que jamais ; on fait dissiper les groupes çà et là ; on a arrêté hier inconsidérément, puis relâché avec hypocrisie et saisi traîtreusement chez lui, dans la nuit, un citoyen paisible porteur d’une pétition de club à l’Assemblée nationale, et on l’a fermé à l’Abbaye ; on a bâti une dénonciation et on l’a faite au Comité des recherches contre Robespierre ; on élève contre lui des soupçons pour diminuer le poids de son opinion et l’influence de ce caractère énergique qu’il n’a pas cessé de développer ; on fait courir les menaces, et nous sommes dans un tel état, que je ne serais pas étonnée d’apprendre à quelque moment le sacrilège assassinat des trois ou quatre députés dont les talents et l’honnêteté militent pour la Bonne cause.

Je ne saurais vous peindre la situation où nous sommes ; je me sens environnée d’une silencieuse horreur ; le cœur s’affermit dans un calme solennel et triste, prêt à tout sacrifier plutôt que de cesser de défendre les principes, mais ignorant le moment où ils pourront triompher et ne formant d’autre résolution que de donner un grand exemple.

Adieu ; on m’apprend que le courrier ne part point aujourd’hui ; j’ajouterai un mot demain.

  1. Décret du 16 juiller, prévoyant les cas où le Roi serait censé avoir abdiqué.