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On se consolerait encore de ces maux particuliers, si la grande machine allait bien. Mais que nous sommes loin de compte, nous autres francs patriotes, qui désirons sincèrement l’avantage commun et sommes prêts à lui sacrifier le nôtre propre !

Quand on ne regarde les choses que de loin, et seulement en masse, on voit un mélange de mal et de bien assez conforme à celui que présentent toutes les choses humaines. Mais, quand on remonte à la source et qu’on examine de près la machine, on est effrayé du désordre qui y règne et humilié de tout ce qu’il en a coûté d’efforts pour produire ce qu’il y a de bon.

Je n’ai pas le courage de revenir sur tout ce qui s’est passé de répréhensible ; mais le seul décret sur les pétitions[1] m’a enflammée d’indignation. Combien il faut que le Département soit perfide pour l’avoir proposé, que l’Assemblée soit lâche pour l’avoir adopté, que le peuple soit ignorant pour ne l’avoir pas jugé, et que les citoyens éclairés soient faibles pour n’avoir pas réclamé contre, avec vigueur et unanimité !

Que vous dirai-je ? Je ne vais plus à l’Assemblée, parce qu’elle me rend malade ; ni aux spectacles, beaucoup trop frivoles pour mon goût dans des circonstances aussi graves ; et, si je n’avais quelques parents, quelques amis qui me donnent quelques devoirs à remplir, je m’isolerais pour ne pas voir tant d’intérêts et de petites passions, dont le choc perpétuel affaiblit l’esprit public. Nos meilleurs députés mêmes n’ont pas, à mon gré, l’activité, la suite, l’énergie et ce généreux oubli de sa propre gloire, sans lesquels pourtant on n’opère le bien qu’à demi. Tous sont las et usés ; il est bien temps qu’ils cèdent la place ; ils y songent, et, après le renouvellement du corps électoral auquel doivent procéder les assemblées primaires dans le courant du mois prochain, on nommera, au 5 juillet, les représentants à l’Assemblée nationale.

  1. Décret des 10-18 mai 1791, relatif au droit de pétition et qui fixe les cas où les citoyens pourront requérir la convocation de la commune : « Le droit de pétition appartient à tout individu et ne peut être délégué ; en conséquence, il ne pourra être exercé en nom collectif par les corps électoraux, judiciaires, administratifs et municipaux, etc. » (Article 1er)

    C’est le Directoire du département de Paris qui avait provoqué ce décret. — Cf. lettre 423.