Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
LETTRES DE MADAME ROLAND.

transport des liaisons, des rapports qui m’étaient inconnus, et qui donnent au bonheur une extension que la seule espérance peut faire apprécier. L’antique héritage est assez solitaire, mais agréable ; le pays est montagneux, presque tout cultivé en vignes ; quelques bois sur les hauteurs ; les aspects sont variés ; le ciel y est beau, l’air sain, les soirées délicieuses. Nous courons les champs ; on fait vendange à force. Je ne sais comme il arrive, mais je m’aperçois que jouir est une affaire qui absorbe tout le temps et n’en laisse plus pour rien autre. Je me dérobe aujourd’hui, et, cantonnée dans le cabinet retiré du chanoine, je dépêche quelques expéditions.

Reçois mille choses honnêtes, que tu feras agréer pour nous à la chère maman, sans t’oublier dans tout ce que mon mari y met du sien. Je te fais passer cette lettre par notre sœur, à qui je n’ai pas le temps d’écrire très au long, et que je prie d’entrer en participation de ce que j’y renferme.

Adieu, chère amie, conserve-moi l’amitié qui répandit tant de charmes sur nos jeunes années, et dont le seul souvenir serait toujours un lien si les autres pouvaient s’affaiblir. Mais nous n’aurons pas besoin d’un pis-aller. Adieu, je t’aime et je t’embrasse de tout mon cœur.

Villefranche, lieu de poste et d’adresse par conséquent, 29 septembre 1780.


8

[À SOPHIE CANNET, À AMIENS[1].]
12 décembre 1780. – [de Paris.]

Je suis arrivée du Beaujolais, fatiguée de la route, charmée de mon voyage, mais pénétrée de tout ce que j’y avais éprouvé de touchant et d’une séparation extrêmement pénible, après deux mois passés dans les plus grandes douceur de la confiance et de l’intimité. La réciprocité des regrets les justifiait trop pour les diminuer ; les affaires à reprendre, des nouvelles à donner, tout ce que fournit d’imprévu une ville d’aussi grande ressource pour l’instruction en tout genre, ont volé tous mes moments, d’autant mieux encore que mon séjour dans cette capitale ne saurait être bien long. Je ne crois pas cependant me fixer à la résidence avant la fin de janvier, et j’irai faire un tour en Normandie avant de m’arrêter sur la Somme.

  1. Dauban, II, 436.