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Au reste, je vous transmets cela parce que la connaissance des faits ou des jugements est toujours bonne à acquérir. Je crois, pour mon compte, qu’il y a plusieurs manières de faire le bien et qu’il faudrait être à la place de chaque individu, ou bien au fait de tout ce qui le concerne, pour juger rigoureusement ce qui a dû être le mieux pour lui. Je crois vous avoir mandé, par ma précédente, que les travaux de l’Assemblée se pressaient, qu’elle se hâtait elle-même et que la convocation de la nouvelle législature devenait prochaine.

On achève, ces jours-ci, la pitoyable organisation du ministère, et celle des gardes nationales est à l’ordre de cette semaine. L’engouement sur Mirabeau n’est point encore passé ; on renouvelle même les idées de l’empoisonnement. Ce qui me les fait paraître absurdes est la difficulté d’attribuer à aucun parti le projet de se défaire d’un tel homme à qui les uns se croyaient redevables et dont les autres espéraient beaucoup.

D’ailleurs, assez de causes se sont réunies pour sa destruction. Mirabeau fit un souper de plaisir le samedi avec mademoiselle Coulon[1], qui désirait faire sa conquête ; il la conduisit chez elle et la fêta très bien, dit-on ; le lendemain, il se rendit à sa campagne, où Mme Le Jay[2] lui fit une vie de mégère ; il l’apaisa très généreusement. Le lendemain (pour continuer l’histoire à la manière de Dorothée), il vint à l’Assemblée nationale et y fut atteint d’un accès de colique hépatique à laquelle il était sujet ; il sortit pour se mettre au bain ; l’indigestion s’en mêla, il fut saigné, la sa constitution pour y résister durant quelques jours, avec des spasmes violents et des douleurs cruelles. Le discours contre la faculté de tester, dont on fit lecture le jour de sa mort et qui me parut honorer sa tombe, n’est pas plus de lui que ne le sont tant d’autres ouvrages auxquels il a dû la plus grande partie de sa réputation.


Le soir, à 8 heures.

Je suis obligée de reprendre une partie de cette lettre. Lanthenas s’est rendu au Directoire et n’y a plus trouvé l’abbé Fauchet, de manière que nous ignorons si l’on s’est occupé de vous écrire. Dans tous les cas, il me parait qu’on n’y a pas mis une grande célérité, ni même celle que l’intérêt de la

  1. Mlle Coulon, danseuse de l’Opéra. – Le samedi 26 mars.
  2. Cette maison de campagne était à Argenteuil. — Mme Le Jay était la femme du libraire chez qui paraissait le Courrier de Provence, rédigé par les amis de Mirabeau et sous son inspiration.

    On connaît (Loménie, Stern, etc… ) les relations complexes de Mirabeau avec Mme Le Jay.