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quand elle se trouvait en concurrence avec ses ardentes passions. Il a usurpé la plus grande partie de sa réputation par des ouvrages qu’il n’avait pas faits ; il a vendu son talent et la vérité à l’avarice et à l’ambition, à l’or, dont ses dérèglements lui donnaient un si grand besoin. Sans remonter à sa conduite lors du veto et du décret sur le droit de la paix et de la guerre, il a été lâche et traître en dernier lieu dans l’organisation du trésor public, dans la question de la régence et dans l’affaire des mines[1]. J’ai été indignée de son silence perfide, de ses discours contradictoires et de sa scélératesse.

Mirabeau haïssait le despotisme sous lequel il avait eu à gémir ; Mirabeau flattait le peuple parce qu’il connaissait ses droits, mais Mirabeau eût vendu la cause de ce dernier à la Cour, que ménagent toujours les hommes corrompus qui veulent de l’autorité et à laquelle il voulait se rendre utile parce qu’il ambitionnait le ministère. S’il eût vécu davantage, il n’eût pu éviter d’être connu, et sa réputation se serait flétrie avant sa mort ; il s’éteint encore au lit d’honneur, du moins aux yeux du vulgaire, et c’est un coup de sa bonne fortune. Le commun de l’Assemblée a été étonné de voir disparaître celui dont l’ascendant le dominait si souvent ; les factieux Lameth gémissent, à la manière de César sur la mort de Pompée, en triomphant de se voir délivrer d’un rival qu’ils redoutaient et dont les bons citoyens regrettent le contre-poids à leurs intrigues. Le jour de la mort de Mirabeau, l’Assemblée était occupée de la grande question de l’égalité des partages ou plutôt de la faculté de tester ; en annonçant cet événement, on apprit aussi que Mirabeau avait un travail sur cet objet ; il l’avait remis la veille à l’évêque d’Autun, qui fut prié de le lire. C’était un excellent discours où les meilleurs principes de la justice et de l’égalité étaient développés avec cette vigueur et ces traits saillants qui caractérisaient l’auteur ; ce fut une véritable couronne dont il décora son tombeau. Les patriotes ne purent refuser un soupir à l’homme capable de servir la vérité ; les Noirs frémirent de l’ascendant qu’il exerçait contre eux pour la dernière fois. Cependant, fidèle à son habileté à ménager les esprits, il ne concluait pas à l’abolition de la faculté de tester, quoiqu’elle fût la conséquence rigoureuse

  1. Le veto suspensif avait été voté, le 11 septembre 1789, contre Mirabeau, qui soutenait le veto absolu ; — le décret sur le droit de paix et de guerre, dans la discussion duquel Mirabeau avait d’abord soutenu la prérogative royale, est du 22 mais 1790 : — le décret sur l’organisation du Trésor public, du 18 mars 1791 ; — la loi régence, du 22 au 29 mars 1791 ; — l’affaire des mines, où Mirabeau prononça son dernier discours, fut discutée le 27 mars, six jours avant sa mort.