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Il ne serait pas impossible que, sous un mois ou six semaines, notre ami fût dans le cas de se rendre à Paris où je le suivrais[1] ; mais c’est encore très incertain et nécessairement soumis aux circonstances de la chose publique.

Adieu ; nous avons des brouillards comparables à ceux d’Angleterre, mais la température physique et les altérations politiques n’influent sur les âmes dévouées au patriotisme et à l’amitié que pour assurer leurs dispositions et fortifier leurs sentiments.


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[À BOSC, À PARIS[2].]
29 janvier 1791, — [de Lyon].

Je pleure le sang versé[3] ; on ne saurait être trop avare de celui des humains ! Mais je suis bien aise qu’il y ait des dangers. Je ne vois que cela pour vous fouetter et vous faire aller. La fermentation règne dans toute la France ; ses degrés sont combinés avec les mesures extérieures ; la force publique n’est point organisée, et Paris n’a point encore assez influencé l’Assemblée pour l’obliger de faire tout ce qu’elle doit.

J’attends de vos sections des arrêtés vigoureux ; s’ils trompent mon attente, je croirai qu’il me faut gémir sur les ruines de Carthage, et, tout en continuant de prêcher pour la liberté, je désespérerai de la voir affermie dans mon pays malheureux. Laissez-moi de côté l’histoire naturelle et toutes les sciences autres que celle de devenir homme et de propager l’esprit public.

J’ai ouï dire à Lanthenas que des députés allaient étudier au Jardin des Plantes[4]. Bon Dieu ! et vous ne leur avez pas fait honte !… Et ces honnêtes citoyens, qui voient avec douleur la corruption les environner, ne s’élèvent pas avec énergie contre ses progrès ?… n’en relèvent pas toutes les traces ?…

  1. C’est le 1er février que Roland fut désigné par le conseil général de la commune de Lyon pour aller, avec Bret, procureur de la commune, demander à l’Assemblée nationale de prendre au compte de l’État la dette lyonnaise. On leur allouait à chacun 12 livres par jour (Wahl, p. 347).
  2. Bosc, Iv, 137 ; Dauban, II, 584.
  3. Allusion à la rixe sanglante qui avait eu lieu, le 24 janvier, à La Chapelle-lès-Saint-Denis, entre des chasseurs préposés à la garde des barrières et la population, à propos de contrebande. La société des Jacobins s’en était émue (voir Aulard, II, 28-39).
  4. C’étaient les amis d’André Thouin, Larevellière-Lepeaux, Leclerc, Creuzé-La-touche, etc. (Voir, sur ces réunions. Mém. de Larevellière, I, 74.)