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rempli que de la foule de décrets dont l’Assemblée nationale est devenue si féconde et la lerture si insupportable. Il sera bien important, quand vous serez à Paris, de provoquer l’examen de cette question sur laquelle nous avons écrit à Brissot depuis longtemps : savoir s’il ne conviendrait point aux intérêts du peuple de faire renommer partout les électeurs pour le choix des députés à la seconde législature.

J’ai fait hier, à la Société des Amis de la Constitution ; la motion de convoquer une séance extraordinaire pour ce jour, afin de discuter les moyens de prévenir les malheurs qui nous menacent. Celui que je proposerai, et qui nous parait le meilleur, c’est de provoquer de tous les points de la France des adresses pour presser l’Assemblée nationale de terminer ce qui lui reste à faire.

Les Sociétés populaires vont ici toujours en s’étendant. C’est une institution à étendre dans toute la France. J’en ai écrit aux Jacobins et à Brissot ; il ne parait point qu’il en résulte encore aucun effet. Les Jacobins ont bien écrit pour conseiller la réunion de ces premières Sociétés avec celle de Saint-Clair, mais, faute de forcer celle-ci, la vanité empêchera que l’on fasse ce qu’il faudrait pour l’opérer. Ménagez votre santé, mon cher ami ; revenez le plus tôt que vous pourrez, et écrivez-nous plus souvent. Je vous embrasse du meilleur cœur.

P.-S. M. Arthur Young n’est point inconnu à nos amis. Il y a un an qu’il leur fut présenté, à son passage ici[1]. Puisque vous êtes dans son voisinage, vous pourrez peut-être d’autant plus aisément satisfaire à une information, que M. Servan nous priait de vous inviter de

  1. C’est le 28 décembre 1789 qu’Arthur Young, passant par Lyon, y avait vu Roland.

    Son récit (Voyage en France pendant les années 1787-1790, trad. Decasaux, Paris, 1793, t. II, p. 97-99) est d’un homme qui sait voir. Le matin, il déjeune chez Goudard, grand négociant en soie (le frère du député à la Constituante) : « …Je fis les plus grands efforts pour me procurer quelques informations sur les manufactures de Lyon ; mais en vain, tout était selon ou suivant… » Il va voir ensuite l’abbé Rozier, puis le ministre protestant Frossard, « qui me donna fort volontiers, et avec beaucoup de politesse, de bonnes instructions, et qui, pour les choses dont il n’était pas bien informé, me recommanda à M. Roland de La Platière, inspecteur des fabriques de Lyon. Ce dernier avait des notes sur divers sujets qui nous procurèrent une conversation fort intéressante ; et comme il est très communicatif, j’eus le plaisir de voir que je ne quitterais pas Lyon sans obtenir une grande partie des connaissances dont j’avais besoin. Ce monsieur, qui est déjà âgé, a une jeune femme fort jolie… M. Frossard invita M. de La Platière à dîner, ainsi que moi. Nous eûmes une grande conversation sur l’agriculture, les manufactures et commerce. Nous ne différions que très peu en opinions, excepté sur le traité de commerce entre la France et l’Angleterre, qu’il condamna, à ce que je m’imagine, injustement, et nous discutâmes ce point… Nous discutâmes ces sujets et d’autres semblables avec cette attention et cette candeur qui les rendent intéressants pour les personnes qui aiment une conversation libérale sur des matières importantes… »