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ment, quelle indique la nouvelle législature et quelle renonce à tout objet secondaire.

Adieu ! Si vous vous désolez, je dirai que vous faites un rôle de femme que je ne voudrais pas prendre pour moi. Il faut veiller et prêcher jusqu’au dernier souffle ou ne pas se mêler de révolution. Je vous embrasse dans l’espérance que l’expression de votre chagrin ne doit pas être prise pour celle de votre solution.


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À M. HENRY BANCAL, À LONDRES[1].
24 janvier 1791, — de Lyon.

Jamais, mon digne ami, nous n’avons si bien senti combien vous nous étiez cher qu’à la lecture de cette déchirante lettre encore empreinte de vos larmes et que nous avons baignée des nôtres[2]. J’ai honte de vous dire qu’en vous aimant autant, nous ne savons pas vous consoler ; quant à moi, je n’ai pas cet art-là pour de pareilles douleurs. Vos pleurs sont trop justes ; y joindre les miens est tout ce que je sais faire. Je n’ai pas besoin, pour les exciter, de relire cette lettre qui en ferait verser aux hommes les plus durs ; n’ai-je pas mon esprit, mon cœur tout remplis de ce que vous m’avez dit si souvent de cette famille aimante, de cet homme respectable que je n’ose plus nommer !

Vous possédiez un bien inappréciable, vous en étiez digne ; vous l’avez perdu, vous avez trop de raison de gémir ! Non, les pleurs ne déshonorent point l’humanité ; quelquefois tribut de la faiblesse, elles (sic) sont plus souvent l’apanage de cette même sensibilité dont l’énergie développe les plus grandes vertus. Mais le sage qui s’afflige ne se désespère jamais ; il a trop bien calculé la vie pour ne pas s’attendre à de grandes peines, et le prix qu’il met à ses devoirs lui fait

  1. Lettres à Bancal, p. 151 ; — ms. 9534, fol. 83-86. — Même adresse que la lettre du 10 janvier. Bancal a inscrit en marge : « Reçu le mardi 8 février. »
  2. Le père de Bancal était mort le 21 novembre 1790 (Mège, p. 5). Mais nous nous demandons si le consciencieux érudit n’a pas laissé échapper là une faute d’impression, novembre pour décembre. On ne s’expliquerait pas que Madame Roland, qui, le 30 décembre, accusait réception à Bancal d’une lettre du 14, eût attendu le 24 janvier pour lui parler de son deuil pour la première fois.