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LE CHEVALIER DE SAINT-GEORGES.

gleur. Pour Zäo, la négresse eût consenti peut-être à se voir battue ; pour Saint-Georges, elle eût donné sa vie et son sang ! Saint-Georges était le Benjamin de Noëmi, son bonheur, son idole de tous les jours ! Au moindre désir exprimé par lui, on la voyait s’empresser et courir, esclave de ses volontés, l’embrassant et l’adorant comme un idolâtre eût fait d’un fétiche. C’était elle qui le lavait soir et matin, elle qui s’occupait de sa rechange, équipement consistant en une chemise, un pantalon et une veste de toile que portait l’enfant lorsqu’il suivait M. Joseph Platon à la chasse. Devait-il monter par ces durs chemins aux roches tranchantes et calcaires que les nègres nomment roches à ravets, Noëmi visitait le soir ses pieds endurcis à la fatigue, dans la crainte d’y trouver quelque piqûre de ronce ou de serpent. Orgueilleuse de son fils, lorsqu’elle faisait le tour des cases, elle avait l’air de briguer les suffrages de chaque noir de l’habitation. C’était elle qui l’avait allaité à la Guadeloupe, ce pays qu’elle semblait tant regretter, surtout depuis qu’elle était à Saint-Domingue. Ce fils bien aimé était si beau pour Noëmi ! Un mouvement fébrile la saisissait quand il était loin de l’ajoupa, une larme brillante se faisait jour alors à travers ses longs cils noirs ; son trouble était visible, malgré le crêpe éternel impitoyablement jeté sur son visage, ce voile immuable qui cache jusqu’à la pâleur ! Souvent la nuit elle se levait de sa couche pour le contempler dormant sur sa natte ; elle lui choisissait les plus belles goyaves, frugale pour elle-même jusqu’à l’abstinence. Dans la traversée, il n’était sorte de soins qu’elle ne