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JOSEPH PLATON.

Saint-Marc fuyant au loin et le bac de l’Artibonite, rivière si dangereuse par ses débordemens limoneux. La fortune coloniale de M. de Boullogne avait bien reçu quelques échecs à la suite de la catastrophe de Law, mais il aurait pu vivre somptueusement encore à Saint-Domingue dans ces jours d’imprévoyance et de luxe, où chacun ne songeait qu’à tuer le temps. La colonnade d’arbres qui conduisait à ses domaines demeurait encore majestueuse, les galeries extérieures de sa grande case étaient construites en bois d’acajou orné de riches dorures et garnies de troncs bruts de lataniers. En sus du coton, du sucre et de l’indigo qui se recueillaient chez lui avec fruit, l’eau s’y rencontrait à cinq pouces du niveau de la terre ; le parfum des aromates l’y disputait à la fraîcheur des cascades. Cette habitation était un véritable village. La cloche y retentissait à la fois dans la cotonnerie pour le travail de la houe, dans la tannerie, située à portée de la rivière si poissonneuse de l’Ester, dans les haltes et dans le cantonnement des cases à nègres. Les seuls cultivateurs à la houe, au nombre de douze cent quatre-vingts, y existaient à la charge de l’habitation, s’étendant complaisamment sur la plus longue partie du vaste canton de l’Artibonite. Un fossé d’eau vive et limpide coupait joyeusement ce beau domaine au sol verdoyant, derrière lequel coulait encore l’Ester.

Cependant nul visage de maître n’avait encore apparu, depuis celui de M. de Boullogne, dans cette magnifique demeure. Les plus vieux d’entre ses intendans, c’est-à-dire les plus rusés et les moins pro-